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in Actualités de la conservation, n° 24, juillet-décembre 2005
Les liens * renvoient à une bibliographique en fin d'article.
Malgré les moyens de prévention*, il peut arriver que les collections d’une bibliothèque moisissent. Ainsi les conservateurs sont souvent confrontés à la problématique du traitement curatif (désinfection). En effet, il est important de rappeler que le développement des micro-organismes sur/dans les ouvrages entraîne une détérioration des matériaux* qui les constituent (cellulose, kératine). En conséquence, lors d’une infestation, il est impératif de réagir le plus vite possible en préconisant un traitement des collections mais aussi en agissant sur les causes ayant favorisé le développement de ces micro-organismes.
La procédure choisie devra répondre à plusieurs critères :
Il existe beaucoup d’amalgames entre tous les moyens de désinfection,
de désinsectisation, entre les produits fongicides, insecticides et ceci
pour l’ensemble du domaine patrimonial. Or, ces moyens n’ont pas tous
des propriétés fongicides et ils ne sont pas tous utilisables sur des
livres. Faut-il rappeler que les ouvrages sont constitués de matériaux
organiques variés qui vont réagir différemment à ces divers traitements
?
Le présent article va faire état des connaissances concernant la désinfection
des collections par des procédés physiques ou chimiques, et il tentera
de répondre aux questions récurrentes des responsables de collections.
Les rayonnements gamma ont été utilisés pour désinfecter certains objets du domaine patrimonial comme la momie de Ramsès II*. Or ce procédé n’est pas utilisable sur les ouvrages. Cette technique qui utilise la désintégration nucléaire de radioéléments est connue pour son pouvoir pénétrant et son action désinfectante et désinsectisante selon la dose administrée. Cependant la dose pour obtenir la destruction complète des moisissures sur des ouvrages doit être si élevée qu’elle produit des modifications chimiques de la cellulose*. Ce procédé ne peut donc pas être utilisé sur le patrimoine écrit. De plus son action est cumulative sur un objet désinfecté.
Toutes ces méthodes sont connues pour leur action désinfectante, mais ces procédés ont des effets négatifs sur les ouvrages, par exemple, décoloration, dépolymérisation de la cellulose qui entraînent une perte de la résistance physico-chimique du papier. Leur utilisation est donc à proscrire pour un traitement du patrimoine écrit.
Des études ont été réalisées sur l’utilisation des micro-ondes, les conclusions de ces études réalisées notamment au CRCDG, valident l’utilisation de ce procédé pour la désinfection de documents en feuillets. Par contre, les micro-ondes n’ayant aucun pouvoir pénétrant, il est impossible d’envisager l’utilisation de ce procédé un traitement de masse.
Ce procédé est utilisé pour la désinsectisation des objets culturels en bois et il n’a pas été validé comme traitement antifongique. En effet, une congélation permet d’arrêter le développement fongique et permet de détruire la partie végétative des moisissures mais elle ne permet pas de tuer toutes les spores des moisissures. Par contre, la congélation est bien préconisée sur des ouvrages très mouillés lors d’une inondation afin d’attendre un traitement de séchage par lyophilisation et de bloquer la germination des spores. Ce traitement est généralement complété par un traitement de désinfection à l’oxyde d’éthylène quand les ouvrages sont moisis.
Cette technique utilisée pour la désinsectisation des collections a été étudiée sur les moisissures. Comme pour la congélation, elle stoppe la croissance des moisissures mais elle ne permet pas d’inactiver définitivement toutes les spores des moisissures. Ce procédé n’a donc pas pu être validé actuellement.
Les pays anglo-saxons ont commencé à utiliser la méthode dite d’aspiration. Ce procédé, qui n’est pas un moyen de désinfection, permet de retirer les moisissures des supports infestés. L’aspiration doit être utilisée dans des conditions particulières et par du personnel compétent. Elle est recommandée à la BnF, après qu’une analyse microbiologique a été faite, pour un petit nombre d’ouvrages et pour certains types de moisissures seulement (moisissures peu dégradantes, peu virulentes, sèches). L’efficacité du dépoussiérage doit être ensuite confirmée par des prélèvements microbiologiques et nécessite ensuite qu’une surveillance soit exercée (climatique, microbiologique). Cette technique requiert l’utilisation d’un aspirateur à filtre absolu afin d’éviter la propagation dans l’atmosphère des spores de moisissures. Mais cette technique est-elle vraiment applicable dans le cas d’une collection totalement moisie ?
Comme tous les produits chimiques actifs, ces substances sont plus ou moins toxiques pour les utilisateurs et les supports. Comme le pentachlorophénol, le bromure de méthyle ou le formaldehyde qui ont été longtemps utilisés avant que l’on sache que ces molécules étaient non seulement toxiques mais pouvaient également altérer les ouvrages.
À l’heure actuelle, on utilise l’oxyde d’éthylène ; ce produit chimique,
connu depuis 150 ans, est utilisé selon sa
concentration pour son action insecticide,
fongicide et bactéricide. Il faut savoir que ce traitement spécifique
utilisé généralement dans le domaine hospitalier requiert des recommandations
particulières pour le domaine patrimonial. Ce produit, qui se présente
sous la forme d’un gaz, est utilisé dans le domaine patrimonial depuis
les années 1960. Extrêmement toxique, il est connu pour ses
effets cancérigènes, mutagènes. Par
ailleurs, ses caractéristiques physiques font qu’il est également explosif
et inflammable au contact de l’air. Toutefois, mélangé avec un autre gaz
inerte (le dioxyde de carbone pour la BnF) il est moins dangereux à utiliser.
On comprendra donc que l’utilisation de l’oxyde d’éthylène soit soumise
à une réglementation très stricte et qu’il soit utilisé dans des structures
particulières (enceintes hermétiques) soumises à des contrôles permanents
et utilisé par du personnel compétent.
Se pose également le problème du rejet
de l’oxyde d’éthylène (nocif) dans l’environnement,
mais ce dernier inconvénient peut être pallié par un système de recyclage
comme celui de l’installation de la
BnF à Bussy-Saint-Georges.
L’oxyde d’éthylène réagit rapidement avec les molécules constituant les micro-organismes (protéines, ADN) et intervenant dans les réactions métaboliques. Celles-ci étant bloquées, cela entraîne la mort.
Ces réactions dépendent de plusieurs
facteurs : la température, l’humidité,
la concentration en gaz et la durée du traitement. La désinfection à
l’oxyde d’éthylène n’utilise pas de “phase liquide”, il n’y a donc pas
de risque de solubilisation des encres par exemple. A la BnF, le protocole
utilisé pour la désinfection du patrimoine écrit est réalisé à une température
de 25-30°C et une humidité relative de 50 %.
Le traitement est réalisé sous vide d’air ce qui améliore la pénétration
de l’oxyde d’éthylène permettant ainsi de désinfecter en profondeur les
ouvrages contaminés. Il est ensuite impératif de faire désorber les
ouvrages après un traitement, à l’intérieur même de l’autoclave, mais
aussi en laissant les collections désorber dans un local spécial et ventilé.
Selon le matériel cette désorption sera plus ou moins longue ; par exemple
certaines matières plastiques désorbent plus lentement que les supports
papiers.
Ainsi, dans la procédure habituellement utilisée à la Bnf, les ouvrages
désinfectés restent 3 semaines dans un local spécifique. L’oxyde d’éthylène
résiduel est contrôlé à l’aide de détecteur et les ouvrages sont réexpédiés
uniquement quand l’oxyde d’éthylène n’est plus détectable.
On s’assure ainsi que les collections traitées ne présentent aucun risque
pour les futurs manipulateurs.
Plusieurs études ont été menées concernant les effets de l’oxyde d’éthylène
sur les matériaux constitutifs des ouvrages. Des
tests réalisés en laboratoire sur
des papiers de différentes compositions (cotons, lins, pâte mécanique
etc.), sur du cuir et du parchemin, n’ont montré aucune modification de
la résistance physico-chimique. Certaines études montrent même une faible
augmentation de la résistance physico-chimique des papiers après un traitement
à l’oxyde d’éthylène.
Concernant les pigments organiques et
minéraux, aucune modification notable
des couleurs n’a été constatée. Toutefois, il est à noter une diminution
de l’adhésivité de certains liants organiques.
Enfin, il n’a pas été prouvé qu’un objet désinfecté à l’oxyde d’éthylène
était plus sensible à une
re-contamination. Toutefois, il faut tenir compte de l’étude
N. Valentin datant de 1986, qui
a montré que sur des papiers désinfectés à l’oxyde d’éthylène, remis à
80 % d’humidité relative et à 28°C, il se développait plus de moisissures
que sur des papiers non désinfectés. Cette étude montre d’une part que
le traitement de désinfection est un traitement curatif et non préventif
et d’autre part que le contrôle de l’environnement est aussi important
que la désinfection. Le traitement à l’oxyde d’éthylène, qui n’a pas d’effet
rémanent, ne permet pas de protéger les collections d’une contamination
future. Il est maintenant convenu que lors d’une contamination fongique,
il faut agir sur le développement des moisissures par la désinfection
mais aussi agir sur les causes favorisant le développement des moisissures,
généralement les conditions thermo-hygrométriques, la ventilation.
Faire l’un sans l’autre, c’est exposer les collections à une nouvelle
infestation.
En conclusion, les moyens de désinfection efficaces sont rares pour lesdocuments graphiques. Malgré toutes les recherches faites, il n’est pas encore possible de remplacer l’oxyde d’éthylène pour des désinfections de masse. Malgré les risques inhérents au gaz, il faut reconnaître son utilité lors d’infestations de grande ampleur. C’est pourquoi les seuls moyens actuels permettant de pallier l’utilisation excessive de la désinfection à l’oxyded’éthylène sont :
Tony Basset , Département de la conservation, Laboratoire
Bibliographie
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Désorbage de l'oxyde d'éthylène
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Pigments organiques et minéraux
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