État de la question dans les bibliothèques étrangères
en matière de désacidification de masse

in Actualités de la conservation, n° 22-23, janvier-juin 2005

Dans le cadre de ce numéro spécial consacré à la désacidification de masse, il est utile de faire le point sur l’approche de quelques unes des principales bibliothèques étrangères pour faire face à la dégradation de leurs collections imprimées.

 

En 1990, la Bibliothèque nationale suisse (BN) et les Archives fédérales suisses (AF) se sont associées dans le cadre d’un projet de construction d’une installation suisse de désacidification du papier. En septembre 2000, la BN et les AF ont inauguré l’unité de désacidification. Les précisions concernant ce dispositif exploité par Nitrochemie Wimmis AG ont été déjà exposées.

 

La BN et les AF possèdent environ 3 000 tonnes de documents sur papier acide et disposent d’un budget qui leur permettent de traiter chacune 40 tonnes par an. À ce rythme, il leur faudra plus de trente ans pour traiter l’ensemble, d’où la nécessité d’établir des priorités. La BN a développé une stratégie de désacidification en trois temps. Tout d’abord, une phase de prévention qui viserait à traiter dans les deux à cinq prochaines années les fonds 1930­1980. Viendrait ensuite une phase de maintien de l’utilisation qui pourrait désacidifier dans les cinq à dix années suivantes les fonds des années 1850­1930. Finalement, une phase de sélection individuelle pourrait traiter dans les dix à vingt années suivantes les collections d’après 1980.

 

Malgré les améliorations apportées lors de l’élaboration de l’installation, une sélection des ouvrages à traiter est néanmoins obligatoire. Cette sélection concerne notamment les ouvrages contenant des matériaux sensibles comme les reliures synthétiques ou en cuir ou encore certaines couvertures en toile rouge de l’après-guerre, dont la couleur a tendance à s’altérer, les papiers couchés et les journaux. Ce travail de sélection est confié aux relieurs du Service Conservation de la BN.

 

Quinze critères de qualité ont été définis en collaboration avec Nitrochemie Wimmis AG. Ces critères, qui font partie intégrante du contrat établi avec la société, doivent être satisfaits à 95 pour cent. Ils concernent aussi bien l’efficacité du traitement (apport de la réserve alcaline, homogénéité du traitement et valeur du pH) que les valeurs limites des changements tolérés pour les matériaux traités (les changements maximaux de couleurs pour le papier, la diminution de la résistance mécanique, les dépôts visibles, l’altération des encres, etc.).

 

Il est rappelé que la capacité de traitement de l’installation est de 120 tonnes par an. La perspective est de traiter 80 tonnes partagées entre la BN et les AF. Les bibliothèques et les archives privées ou publiques de Suisse ou ses pays voisins 1 pourraient bénéficier du dernier tiers de la capacité. Il en coûte à la BN et aux AF environ 27 francs suisses 18 euros) par kilo de livres à désacidifier. Le prix comprend le transport des documents, le traitement, le reconditionnement dans une salle ventilée et le contrôle qualité. Le coût annuel de fonctionnement de l’unité de désacidification est estimé à 2 millions FS (1,3 millions d’euros). De mars 2000 à mars 2001, 59 797 documents (23 tonnes) ont été traités avec succès. La désacidification de masse à la BN demande l’équivalent d’environ 4 postes de travail à temps plein.

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Après l’abandon du procédé DEZ (diéthyl zinc), de la firme AKZO, la Bibliothèque du Congrès a attribué un contrat à la société Preservation Technologies Limited Partnership (PTLP), située à Pittsburg, pour le traitement de ses collections acides. Cette société dispense des services de conservation en utilisant le procédé de désacidification de masse de la firme Bookkeeper. Depuis 1998, la Bibliothèque a fait désacidifier 200 000 ouvrages de sa collection. Le personnel de PTLP travaille sur le site de la Bibliothèque et gère la totalité des opérations. Les employés de cette firme réalisent la sélection des ouvrages à traiter, l’emballage, le transport vers l’unité de désacidification, le nettoyage des couvertures des livres, des photographies ou des images sur papiers couchés insérés dans les ouvrages pour en retirer toute particule de magnésium et le rangement sur les rayonnages.

 

Les critères de sélection des ouvrages à désacidifier sont rigoureux. La Bibliothèque du Congrès a choisi de traiter principalement les livres émanant des collections américaines. Seuls les livres acidifiés sont traités. La désacidification des ouvrages neufs à titre préventif ne constitue donc pas une priorité pour la Bibliothèque. Les reliures cartonnées, les livres de poche ainsi que les couvertures plastifiées peuvent être traités. Les reliures doivent être en bonne condition (pas de couvertures détachées), mais des dommages mineurs (tête, coiffe, queue, petites déchirures au dos, taches, etc.) sont quand même acceptés. Le corps d’ouvrage doit également être en bon état (pas de pages détachées, déchirées, collées ensemble ou extrêmement fragilisées). Finalement, s’il existe deux exemplaires d’un même ouvrage, seul le moins abîmé sera désacidifié et constituera la copie de conservation.

 

Les livres ayant les caractéristiques suivantes ne sont pas traités : papier alcalin ou permanent (ces livres sont marqués d’un point blanc, tout comme les ouvrages désacidifiés), les papiers couchés ou les papiers calendrés, les titres déjà microfilmés ou numérisés ou encore, destinés à une éventuelle reproduction due à l’état de fragilisation avancé du papier.

 

La plupart de ces ouvrages sont traités dans des cylindres verticaux. Toutefois, les ouvrages volumineux ou en feuillets peuvent être désacidifiés dans des chambres de traitement horizontales. Les dommages faits aux couvertures ou aux pages d’un texte se produisent très rarement (1 sur 10 000 volumes désacidifiés).

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Après avoir été contraintes d’abandonner le procédé DEZ en 1994 (la firme AKZO ayant cessé ses activités de désacidification pour des raisons commerciales), les Archives nationales (AN) ont opté pour le procédé Bookkeeper, exploité par la société Archimascon, à Heerhugoward, après une évaluation critique des procédés disponibles qui a duré près de quatre années. Bien que les Archives nationales soient satisfaites du protocole de désacidification actuel, des analyses sont en cours pour connaître le comportement à long terme des documents traités par ce procédé. Par exemple, des matériaux tests introduits avant le traitement et conservés dans les boîtes d’archives sur les rayonnages des magasins de stockage seront analysés tous les cinq ans.

 

Seuls les ouvrages datant du 19e siècle et microfilmés au préalable sont traités. Le critère de sélection principal établi par les AN est la fréquence de la demande du document. Viennent ensuite la valeur de l’information et l’état physique du document.

 

Le programme de désacidification de masse de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas se fonde sur des critères de sélection rigoureux des ouvrages ainsi que sur un contrôle qualité serré. Par exemple, seuls les ouvrages (livres, journaux et périodiques) néerlandais de la période 1880-1950, acides, avec un contenu élevé en lignine et ayant été microfilmés, sont traités. Les livres trop fragilisés ne sont pas désacidifiés. Les ouvrages sont traités de façon chronologique. D’abord, les documents de la décade 1880-1890. Viennent ensuite les documents des décades suivantes. La désacidification de masse, telle que pratiquée à la Bibliothèque nationale des Pays-Bas, n’est pas à proprement parler un traitement de masse et elle doit plutôt être considérée comme une activité secondaire, principalement pour des raisons budgétaires. Ainsi, depuis 5 ans, environ 5 000 ouvrages ont été traités. Elle occupe néanmoins une place importante au sein du programme national de conservation “Metamorfoze” 2.

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La Bibliothèque nationale du Québec poursuit, pour la cinquième année, son programme de désacidification de masse de ses livres. Ainsi, du 30 mars 1998 au 31 mars 2002, 67 136 documents ont été désacidifiés. La collection patrimoniale (l’exemplaire de conservation) comprend 320 000 documents environ. Il reste donc encore de nombreuses années pour traiter la collection complète. Heureusement, depuis le début des années 1990, environ 60 % de la production a été réalisée sur du papier alcalin et ce chiffre est passé à 80 % au début des années 2000. En plus des collections des imprimés, les journaux et les fonds d’archives sont également traités. Seuls les ouvrages acides sont soumis à la désacidification de masse. Le test est fait à l’aide d’un crayon au rouge de chlorophénol (Abbey pH pen). Les ouvrages acides mais trop fragiles ne subissent pas de traitement de désacidification de masse. Le procédé utilisé est le procédé Bookkeeper, de la compagnie américaine Preservation Technologies (Pennsylvanie), alors que les Archives nationales et la Bibliothèque nationale du Canada utilisent le procédé Wei T’o. Il peut paraître surprenant que dans un même pays, deux procédés de désacidification différents soient utilisés. La BnQ a choisi ce procédé en se basant sur les critères de sélection de la Bibliothèque du Congrès et notamment sur une comparaison des effets secondaires visibles. Le fait que le procédé Bookkeeper soit celui qui comporte le moins d’effets secondaires a été déterminant dans ce choix. Il est prévu dans un avenir assez rapproché de faire construire une unité de désacidification de masse au Québec sous-traitée par Preservation Technologies LT et qui pourrait désacidifier les ouvrages des autres bibliothèques et archives du Québec.

 

 

Une information figurant dans le rapport d’activité 2001 annonce que la Bibliothèque nationale du Canada a récemment menée une évaluation de son procédé de désacidification de masse (Wei T’o). Depuis l’aménagement de l’installation pilote de désacidification de masse en 1981, environ 1 100 000 documents acides de la Bibliothèque ont été traités. Les ouvrages rares et précieux ne font pas l’objet d’un traitement de désacidification. Toutefois, la vétusté de l’équipement et le fait de dépendre d’un seul fournisseur ont contraint la Bibliothèque à repenser son programme. La BNC examine la possibilité de moderniser et améliorer son système de désacidification de masse. Elle analyse également les coûts et les exigences techniques d’un nouveau système, plus performant. Une information émanant de Preservation Technologies LT nous apprend que la société est en voie d’installer à Gatineau, près d’Ottawa, une unité de désacidification, utilisant le procédé Bookkeeper.

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Les bibliothèques et archives allemandes disposent de trois procédés pour traiter les ouvrages acides : le procédé Battelle (Papersave), le procédé Libertec 3 et le procédé de Bückeburg. Les institutions allemandes n’hésitent pas à utiliser ces différents procédés pour traiter leurs collections en fonction des effets secondaires d’ordre physique et chimique que ces dispositifs peuvent générer sur les documents. Par exemple, les Archives d’Etat de Basse-Saxe utilisent le procédé de Bückeburg pour le traitement des feuillets et des documents non reliés. Pour les documents reliés, les firmes Battelle, à Eschborn, et Archimascon (procédé Bookkeeper, Pays-Bas) sont régulièrement sollicitées. Les Archives fédérales ont choisi les procédés de Bückeburg et Battelle pour traiter les documents d’archives.

 

La Bibliothèque d’Etat de Bavière possède 7,4 millions de volumes, dont 5,4 millions ont été édités à partir du milieu du XIXe siècle. Plus de trois millions de ces ouvrages ont déjà souffert de l’acidité. La moitié d’entre eux est déjà sévèrement fragilisée, tandis que l’autre peut encore être traitée. Compte tenu de la grande quantité de documents à traiter, un programme de désacidification basé sur des critères de sélection extrêmement rigoureux a été mis sur pied.

 

Les livres à traiter seront désacidifiés selon un procédé liquide (Battelle) ou sec (Libertec) en fonction des coûts et des effets secondaires que ces procédés peuvent causer sur les matériaux du livre. Par exemple, le cuir, le plastique, les couvertures en parchemin, certaines encres ne supportant pas très bien un traitement avec le procédé Battelle, c’est donc le procédé Libertec qui prendra le relais. Le principal effet secondaire indésirable présenté par le système Libertec est un excès d’oxyde de magnésium.

 

Les Archives d’État de Saxe ont choisi le procédé Battelle pour les documents reliés et le procédé de Bückeburg pour les documents en feuille.

 

En conclusion, il apparaît que les politiques de conservation des bibliothèques étrangères diffèrent légèrement d’une institution à l’autre. Toutefois, toutes les bibliothèques consultées ont fait le choix de ne traiter que les ouvrages acides édités dans leur pays. La Bibliothèque nationale suisse semble se démarquer des autres par le choix d’un programme de désacidification bien défini en trois étapes.

 

 

Nathalie Buisson, Département de la Conservation, laboratoire
Brigitte Leclerc, Département de la Conservation, laboratoire

 

1 La Bibliothèque nationale de France aura confié en 2004, la désacidification de près de 3 tonnes de documents représentés par des collections de périodiques grand format qui ne pouvaient être traitées à Sablé.retour au texte

2 Programme “Métamorfoze” : Les principales activités de ce programme national de conservation des collections de bibliothèque lancé il y a cinq ans sont le microfilmage et le reconditionnement.retour au texte

3 Le principe du procédé Libertec est le suivant : les ouvrages sont maintenus en position verticale dans une cassette et un courant d’air sec passe sur les feuilles. Après un certain temps, un courant d’air sec chargé d’un mélange de particules d’oxyde de magnésium et d’oxyde de calcium est soufflé sur les pages en position ouverte. Après le traitement, le surplus d’agent actif est retiré. De façon à réhydrater le papier et à convertir l’agent actif en hydroxyde, le livre est ensuite soumis à un courant d’air humidifié à 30°C.retour au texte