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Journées professionnelles de la BnF, Paris, 24 - 25 janvier 2002
in Actualités de la conservation, n° 16, janvier-avril 2002
Ces journées d’échanges avec les professionnels des bibliothèques et de la documentation ont fait le point sur les grands chantiers menés au sein de l’établissement et leurs évolutions :
Nous vous proposons ici un compte rendu des interventions plus particulièrement axées sur la conservation avec tout d’abord "les principes et applications de la conservation préventive en bibliothèque" (Hubert Dupuy, directeur du département de la Conservation) puis "La conservation préventive dans les musées" (Roland May et Jean-Pierre Mohen, de la Direction des Musées de France) et pour terminer "Les critères matériels et intellectuels d’une politique de conservation de l’imprimé" qui a fait l’objet d’une table ronde avec Véronique Béranger, Brunot Jeannet, Fabienne le Bars, Christelle Quillet et Philippe Vallas de la BnF.
Hubert Dupuy
La conservation préventive appliquée aux fonds des bibliothèques est une discipline assez récente qui s’est constituée en France dans les trente dernières années du XXe siècle. Elle pourrait être définie comme l'ensemble des mesures qui contribuent à améliorer l’environnement dans lequel sont conservés les documents de manière à en assurer la conservation à long terme. A ce titre elle implique plusieurs métiers ; ingénieurs, spécialistes des bâtiments, conservateurs, restaurateurs et suppose bien sûr une sensibilisation de l'ensemble du personnel de la bibliothèque, du directeur au magasinier.
Il comprend l'environnement climatique et lumineux des différents espaces où les documents sont conservés ou circulent, le mobilier de rangement et de convoiement des documents et également les dispositions contre le vol et contre le vandalisme.
Depuis 1860 jusqu’à 1960 chacun sait que la qualité du papier a connu une baisse importante (processus d’acidification et d’oxydation), la dégradation étant due à la présence dans la pâte à papier et dans les produits incorporés au papier durant sa fabrication de composants dégradant la cellulose, par exemple les produits acides utilisés pour l’encollage à la colophane. L’interaction des matériaux requiert également une attention particulière comme le recommande le projet de norme FDIS 14416 " les matériaux entrant dans la confection de la reliure ne doivent ni contenir ni produire à terme de substances susceptibles d’endommager les documents soit par eux-mêmes soit par interaction avec d’autres matériaux ou l’environnement. " Ainsi, tous les matériaux qui entrent dans la composition d’un ouvrage graphique ou de son conditionnement (papiers, cartons, matériaux de couvrure, colles, encres…) font l’objet d’analyses systématiques. La vigilance s’impose, ce qui induit de reconduire les analyses régulièrement car la composition d’un produit peut être modifiée par son fabricant. Des analyses plus complexes visent à apprécier la compatibilité des matériaux entre eux et leur vieillissement. La quasi impossibilité de reconstituer la pollution en laboratoire représente une des difficultés rencontrées.
Le personnel d’une bibliothèque ou d’un dépôt d’archives dans son ensemble, doit être sensibilisé aux mesures préventives de conservation. Il importe donc que les différents agents, et singulièrement ceux qui manipulent le plus les documents, suivent des stages pour maîtriser la manipulation des documents (Stages organisés par le CTBnF in Actualités de la conservation n°15). L’information des lecteurs consiste à leur expliquer par différents truchements qu’il y a des limites à la photocopie, voire des limites à la communication des originaux. Le fait que les documents incommunicables ne soient pas signalés comme tels dans le catalogue est parfois difficile à expliquer aux usagers.
Connaître l’état matériel des collections, le documenter, faire des observations régulières – ou mieux conduire des opérations régulières d’entretien des collections ; méthodes par sondage, méthodes par lot homogène. Pour le moment, il n’existe pas de démarche méthodologique standardisée pour ce type de processus, mais c’est un préalable indispensable à l’élaboration d’une politique de conservation.
Un tel plan se déploie en plusieurs étapes :
Nous nous aiderons de trois exemples de difficulté de mise en œuvre, afin d’illustrer les pratiques de conservation préventive dans les bibliothèques.
En matière de journaux, du fait de la mauvaise qualité du papier, le transfert de support par reproduction – microfilm encore et numérisation pour bientôt – constitue la solution de conservation la plus adéquate. Reste que très peu de bibliothèques disposent des moyens financiers permettant de tout reproduire ; à la BnF il y a 32.000 mètres linéaires de journaux. Il est donc de fait que l’on continue, du moins en bibliothèque patrimoniale, à conserver les journaux originaux, y compris lorsqu’ils ont été reproduits - c’est la pratique à la BnF - c’est également la pratique à la Bibliothèque royale d’Amsterdam ou à la Bibliothèque nationale de Berne. La meilleure façon de les conserver est de les conditionner à plat dans des boîtes ; à la BnF ils sont conservés à la fois dans des boîtes en celloderme et maintenant dans des boîtes en polypropylène.
Le développement actuel de la mise en valeur des collections notamment par des expositions accroît de manière mécanique les risques de dégradation – sans parler des risques de vol – encourus par les documents exposés. En effet, dans les conditions d’une exposition, l’environnement des documents ne peut être que moins favorable et moins stable que dans les magasins. Les raisons en sont les suivantes :
Donc, une vigilance particulière doit s’exercer à cette occasion ; une attention à la permanence du gardiennage, au choix des vitrines et à la surveillance permanente des conditions thermohygromètriques dans les salles d’exposition ainsi que dans les vitrines figure dans le dispositif de prévention. On peut mentionner brièvement le rôle des laboratoires à la BnF dans le cadre de ces manifestations : fonction de contrôle de l’environnement des collections exposées, création de microclimats dans les vitrines, conditionnement et installation de silicagel, mesure de l’éclairement des œuvres.
La mise en place d’une opération de ce type revêt une ampleur notable. Compte tenu de la richesse du sujet, on se limitera à indiquer les sept modules d’ampleur différente qui permettent de collecter l’information préalable à la rédaction du plan. Bien entendu des éléments du plan sont utiles et parfaitement utilisables, en cas de dommages limités :
Les difficultés sont d'ordre financier et humain : des habitudes de fonctionnement sont à l'origine de la difficulté de conduire des opérations de plan d’urgence qui ne sont pas considérées comme réellement prioritaires par la plupart des décideurs, la place des laboratoires d’analyse en la matière est encore trop limitée.
Mais des progrès sont sensibles, notamment dans le domaine de la normalisation ces dernières années comme en témoignent les normes (ISO/DIS 11799) sur "Les prescriptions pour magasins d’archives et des bibliothèques (implantation du bâtiment ; construction du bâtiment ; autonomie et sécurité ; inertie climatique ; systèmes de détection et d’extinction incendie ) ou les "Prescriptions de conservation pour les documents graphiques et photographiques dans le cadre d’une exposition." (NF Z40-010) Une lacune de taille perdure, il s’agit des prescriptions pour les rayonnages de bibliothèques. Une avancée est également sensible dans le développement des formations dédiées à des aspects pratiques de la conservation préventive ainsi que les travaux d’analyse et les recherches appliquées aux questions de conservation préventive ; par exemple l’analyse des microclimats dans les magasins et de l’air des espaces de stockage.
Jean-Pierre Mohen et Roland Le May
Les approches en conservation préventive se sont progressivement mises en place dans les musées français depuis une dizaine d’années, souvent sous l’impulsion de conservateurs-restaurateurs et de conservateurs particulièrement sensibilisés à ce domaine.
Soutenue par la Direction des Musées, la conservation préventive s’est en quelque sorte institutionnalisée, pour constituer de plus en plus une composante de la politique muséale de la direction centrale et des établissements eux-mêmes, lors de la création du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (1999) qui dans son organigramme, a affiché, à coté des départements de Recherche, de Documentation et de Conservation-Restauration, un département de Conservation préventive.
La direction de ce département fut pourvue en septembre 2000 et le département a connu un développement " significatif ", passant d’un conservateur et d’un ingénieur d’études à deux conservateurs, un ingénieur d’études et deux restauratrices conseils en conservation préventive.
Les champs d’intervention du département concernent le conseil et l’expertise dans le cadre du contrôle scientifique et technique de l’Etat sur ses établissements nationaux et les établissements en région relevant très majoritairement de collectivités territoriales et qui seront tous regroupés sous l'appellation Musées de France lors de l’application de la loi du 4 janvier 2002. Le département développe également, en liaison avec les autres départements du centre et des institutions extérieures, des thèmes de recherches (conservation préventive et environnement, tout particulièrement la problématique de la corrosion des métaux), constitue une documentation en conservation préventive et participe à des formations et des campagnes de sensibilisation.
L’accent a été mis, durant ces premiers mois de fonctionnement sur le développement d’une politique de terrain visant à intégrer la conservation préventive dans l’ensemble de la démarche d’une politique muséale. Au terme de cette première année, un premier bilan de la demande peut être fait.
Les projets de rénovation de musées ou la réalisation de réserves extérieures constituent les principales sources de sollicitations auprès du département. Rares sont encore des plans de conservation préventive mis en place après rénovation afin de garantir les meilleures conditions possibles de conservation dans ces équipements remis à neuf et pour des collections dont une partie a souvent fait l’objet de campagnes de restauration. Actuellement donc il s’agit dans la majorité des cas d’accompagner en conservation préventive les diverses étapes d’un projet de rénovation : projet scientifique et culturel de l’établissement, étude de programmation, projet d’architecte en soulignant la spécificité des collections et leurs conditions de conservation (état sanitaire et traitement : dépoussiérage, désinfection, mesures conservatoires…), et de définir des procédures liées à ces projets : transfert des collections, conditionnement et stockage.
Il s’agit dans la plupart des cas de dossiers assez complexes en raison de la multitude d’objets – beaucoup des projets en cours concernent des musées polyvalents ou dits de société (ethnologie, histoire) - , de tout gabarit (poids, volume, dimensions) et multicomposites avec une dominante de matière organique. Chaque dossier est souvent un cas d’espèce avec probablement une diversité des formats et des matériaux moins fréquente dans les bibliothèques.
Dans la plupart de ces cas, la démarche consiste dans un premier à faire réaliser une évaluation de la situation : état sanitaire des collections et mesures conservatoires, puis à établir des descriptifs et des procédures visant à encadrer des opérations de conditionnement, de transfert, de stockage. Il s’agit aussi d’accompagner ces opérations de formation du personnel afin que celui-ci puisse réaliser en interne des opérations simples.
Au terme de cette première année, une quinzaine de chantiers en conservation préventive a été mise en route concernant soit de simples évaluations sanitaires des œuvres jusqu’à des plans en conservation préventive sur plusieurs années intégrant à la fois des études de diagnostics, des protocoles et des formations.
Ces démarches totalement intégrées dans le projet scientifique et culturel permettent peu à peu d’impliquer la conservation préventive dès les préalables d’un projet de rénovation. Elles visent à démontrer au fur et à mesure tout le bénéfice de poursuivre une véritable politique préventive au-delà de la seule opération de rénovation afin que la conservation préventive devienne l’une des composantes fondamentales du musée, au même titre que l’inventaire et l’enrichissement des collections.
Véronique Béranger, Christelle Quillet, Bruno Jeannet, Fabienne Le Bars, Philippe Vallas
La BnF n’échappe pas à la question des moyens, que l’on considère la masse des documents imprimés à traiter dans les départements, ou que l’on considère le choix de traitement, qui peut être très long (Réserve). Entrent en ligne de compte les moyens humains (pour préparer les trains de documents à traiter, pour microfilmer ou restaurer les ouvrages en atelier), les moyens financiers, ou encore les moyens techniques. Les moyens sont généralement inférieurs aux besoins théoriques portant sur la totalité des collections à traiter : nous sommes limités, il nous faut donc faire des choix, établir des priorités.
Au moment du déménagement des Imprimés, les collections ont été réparties entre 7 départements thématiques, dotés chacun d'un service de conservation propre. Tous les départements ont adopté comme ligne directrice trois critères primaires pour établir leur politique de conservation et leurs priorités :
Ces trois critères ne peuvent être envisagés séparément ; ils sont appliqués différemment selon les cas, leur niveau de priorité étant variable. A ces critères principaux viennent s'ajouter d'autres plus ponctuels :
Mise en pratique des trois critères
Sur le plan pratique, deux méthodes permettent de connaître l'état des collections, pour définir ensuite les programmes de traitement :
Pour autant ces critères ne constituent pas une science exacte, ils. servent de repères, d'aide à la décision, à la sélection. Ils ne sont pas immuables, mais évoluent.
Nos critères tiennent compte des caractéristiques particulières du département :
Dans la pratique, cela signifie que chaque jour ouvrable 100 ou 150 documents sont refusés à la communication du fait de leur état, dont une cinquantaine, demandés pour la première fois, doivent être répertoriés et conditionnés : les besoins curatifs et préventifs dépassent donc de beaucoup nos capacités… C’est pourquoi le critère du taux de communication est particulièrement important pour la définition de nos priorités. En l’absence de statistiques précises de communication, et vu la nécessité de protéger les documents abîmés non encore conditionnés, nous avons systématisé une procédure permettant de connaître rapidement chaque jour les documents refusés à la communication à cause de leur état, ou qui en reviennent endommagés : le personnel chargé de la communication rassemble tous ces documents dans des bacs placés dans chacune de nos 8 stations, où tous les jours nous venons les récupérer pour :
Nous partons du principe souvent vérifié que les documents demandés au moins une fois ont plus de chance que les autres de faire l’objet d’une autre demande, et ce sont eux que nous sélectionnons en priorité dans la masse des ouvrages en mauvais état. Plusieurs années de pratique ont confirmé les avantages de cette méthode :
Elles ont révélé aussi, toutefois, des inconvénients importants :
Pour toutes ces raisons, ce critère du taux de communication est presque toujours croisé avec les deux autres, mais dans des proportions variables selon les types de traitements. En restauration par exemple, où la communication " ramène " beaucoup plus de documents qu’il n’est possible d’en traiter, la sélection se fait ensuite essentiellement sur le critère de valeur ( ancienneté, rareté, importance du texte, qualité de la reliure…) . De même, pour la reliure des documents neufs, le critère de l’intérêt intellectuel est dominant et la sélection se fait principalement par examen systématique des collections sur les rayonnages.
C’est aussi pourquoi ce critère du taux de communication est généralement considéré de manière globale, par fonds et non par document : le nombre des demandes, comme celui des refus de communication, permet de faire ressortir les fonds, voire les parties de fonds, les plus consultés, qui sont traités d’une façon plus ou moins systématique selon les moyens disponibles.
Exemple : Le fonds 8° R :
Il apparaît clairement comme le plus consulté du département, nous
avons donc choisi de le traiter systématiquement, d’une part en
microreproduisant ( et désacidifiant ) tous les documents sur papier
acide et en langue française , par ordre chronologique d’entrée,
sur la période 1893- 1955 environ, et d’autre part en reliant rétrospectivement
le plus possible d’ouvrages brochés dans la partie la plus récente
du fonds (période 1970-1995).
Et même dans les fonds peu consultés, il est rare que nous bornions strictement notre sélection aux documents demandés, sauf pour des traitements à petite échelle comme la restauration ; en général, nous étendons notre choix aux autres documents de la tranche de cote considérée qui présentent le même état..
Pour les filières de traitement que nous considérons comme primordiales ( reliure, microreproduction), et/ou lorsque les capacités sont très inférieures aux besoins, il est indispensable que le croisement des critères de choix soit effectué avec le maximum de rigueur. Ceci nous a conduits à élaborer des bases informatisées d’aide à la décision sur Excel :
Enfin, nos fonds comportent aussi d’importantes collections peu consultées mais quand même en très mauvais état - autodestruction du papier acide, manque d’entretien et de reliure aux époques antérieures -, par exemple nos " lettres théologiques " (fonds anciens de religion) ; malgré l’insuffisance globale des moyens, nous essayons de ne pas les abandonner à leur triste sort et si nous réservons l’essentiel des traitements " lourds " à d’autres fonds très demandés, nous leur consacrons une bonne part de nos capacités en traitements " légers " d’attente (conditionnement) et nous essayons de conduire des chantiers internes visant à améliorer leurs conditions de stockage en magasin.