Désinfection

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Séminaire de mycologie prévisionnelle

Compte rendu de colloque - 24 avril 2007

in Actualités de la conservation, n° 26, janvier-décembre 2007

Sommaire
Gestion du risque de contamination fongique, la prévention et ses limites
La contamination fongique dans les monuments historiques
La mycologie prévitionnelle

 

Ce séminaire, issu de la collaboration entre Malala Rakotonirainy, microbiologiste au CRCC, et Tony Basset, microbiologiste du laboratoire de la Bibliothèque nationale de France, est la synthèse scientifique de l’avancée des recherches sur le thème des contaminations fongiques dans le domaine patrimonial.

 

Il a été conçu et articulé autour de trois interventions déterminantes :

I/Gestion du risque de contamination
fongique, la prévention et ses limites

(Brigitte leclerc, Caroline Laffont, BnF)

 

Contexte historique

La mission de la Bibliothèque nationale de France est de collecter toutes les publications françaises, de les faire connaître, de les valoriser et de les conserver pour les générations futures. Ces documents graphiques sont particulièrement sensibles aux dégradations fongiques car ils sont hygroscopiques et sont composés de matériaux organiques qui peuvent être utilisés par les moisissures comme source nutritive. Sur ce genre de support, le développement fongique est ainsi favorisé et les conséquences en sont très graves :

  • dégradation physique pouvant aller jusqu’à la perte irrémédiable de tout ou partie des informations ;
  • altérations inesthétiques.

Ainsi, tant en raison du volume important de ses collections que de leur richesse, la Bibliothèque nationale de France a été amenée à mettre en place une politique préventive, prenant en compte la globalité des collections, ainsi que des traitements de masse adaptés.

Parallèlement, dans les années 80, la déontologie de la conservation des oeuvres patrimoniales a évolué dans deux directions : d’une part vers une réduction des traitements chimiques systématiques, qui pouvaient avoir éventuellement des effets néfastes sur les matériaux, et d’autre part vers une politique de restauration des oeuvres la moins interventionniste possible.

 

Aussi, au début des années 80, face à cette problématique et devant l’augmentation des contaminations microbiologiques, la BnF s’est-elle orientée vers une politique préventive et non plus exclusivement curative. La création du laboratoire de recherche s’est donc inscrite dans une démarche "qualité", elle même intégrée à la politique de conservation préventive.

 

Gestion du risque

Afin d’appréhender au mieux le problème des contaminations fongiques, le laboratoire a mis en place un système d’évaluation et de contrôle à multiples paramètres (collections, bâtiments, environnement climatique, microbiologique), permettant de maîtriser le risque fongique en élaborant des prescriptions ainsi que des procédures d’entretien.

 

Une bonne évaluation du risque est fondée sur 4 paramètres :

  • l'amélioration des connaissances des collections conservées dans les locaux (documents écrits et graphiques, estampes, costumes, etc.), afin d’en maîtriser toutes les caractéristiques et d’y adapter les conditions de conservation ;
  • l'approfondissement des connaissances du niveau général de la contamination, par la mise en place d’une surveillance microbiologique des collections, couplée à une surveillance microbiologique des surfaces et de l’air. Ces contrôles réguliers permettent de mettre en évidence rapidement tout changement dans ce domaine ;
  • une meilleure appréhension de l’environnement des collections par la mise en place d’une surveillance climatique des magasins, afin de déceler tout incident climatique et de pouvoir intervenir le plus tôt possible ;
  • la fiabilité de la connaissance de l’état du bâtiment est primordiale dans l’évaluation du risque. Il est en effet nécessaire de connaître les zones à risques pouvant exercer une action néfaste à la bonne conservation des collections, comme par exemple, le passage de canalisations, de siphons, le cheminement des chéneaux d’eau pluviale, la localisation des équipements techniques (CTA, humidificateur), les fenêtres, les portes, les zones de travaux…

Cette évaluation fiabilise la mise en place de procédures permettant de maîtriser les risques.

Ainsi le laboratoire peut intervenir comme conseiller dans le choix des matériaux, par exemple : les revêtements de surface qui ne doivent pas générer de poussière comme le béton ou retenir les poussières comme les moquettes… On conseillera plutôt des sols avec revêtement plastique facilement nettoyable.

Le laboratoire pourra intervenir aussi quant au choix des équipements techniques: les points de consigne des CTA, le choix des filtres, des méthodes de nettoyage des filtres et des gaines, etc... Le laboratoire participe également à l’élaboration des procédures de nettoyage des locaux et des collections, lors de l’entrée de certains fonds (dons, legs), qui feront l’objet d’une mise en quarantaine et d’un contrôle sanitaire systématique afin d’éviter toute contamination. La connaissance des conditions climatiques requises permet au laboratoire d’intervenir très rapidement en cas de fluctuation environnementale. De même, le suivi microbiologique des collections et de l’air des magasins permet d’intervenir avant que le seuil d’alerte (25 UFC/m3) ne soit atteint.

 

Evolution

Cette gestion du risque et la mise en place de la politique de conservation préventive ont permis, au fil des années, de diminuer sensiblement le nombre d’infestations et surtout l’ampleur des contaminations.

Cependant, il existe toujours des cas où, malgré la prévention et le contrôle climatique, des contaminations sont à déplorer.

De même, le laboratoire de la BnF ne s’explique pas la différence de vulnérabilité de certains matériaux vis-àvis des moisissures selon les régions… Ainsi, il ne peut que constater que certaines régions comme la Guyane (où l’humidité relative dépasse parfois 80%), ne semblent pas sujettes à des taux de contamination alarmants, alors qu’il a dû constater ailleurs des cas d’infestations fortes, malgré des conditions climatiques conformes aux normes (HR=55%).

C’est pourquoi une meilleure connaissance des facteurs déclenchant la germination des spores, et de leurs interactions sera nécessaire pour progresser dans l’anticipation des développements fongiques. De même, mieux connaître les influences des propriétés physico-chimiques des matériaux, des stress climatiques sur la cinétique de germination des spores, permettra de mettre au point des indicateurs précis quant à la germination des spores et au développement des moisissures.

 

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II/La contamination fongique
dans les monuments historiques

(Geneviève Orial, Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques)

 

 

Contexte

Le laboratoire de microbiologie du LRMH a une approche différente. En effet, la difficulté du laboratoire du LRMH est de :

  • travailler sur un grand nombre de monuments historiques, éclatés sur tout le territoire français ;
  • gérer des micro-organismes très nombreux, tels que les algues, les bactéries, les lichens, les moisissures, etc. ;
  • être confronté à une multitude de supports susceptibles d’être contaminés.

Ainsi, les recommandations d’usage, comme le contrôle climatique, le contrôle du taux d’empoussièrement, la mise en place d’une approche préventive, ne peuvent être généralisées à tous ces monuments.

Dès lors, le Laboratoire intervient dans la majorité des cas pour identifier le ou les contaminants et évaluer l’ampleur de la contamination afin de préconiser un traitement curatif adéquat.

Ce traitement curatif est selon le cas et le degré de la contamination :

  • un dépoussiérage mécanique des surfaces afin d’enlever les moisissures en développement et de stopper leur prolifération ;
  • un traitement curatif chimique de l’air, couplé à un traitement des surfaces.

 

Gestion du risque

Il existe deux types de contamination :

  • la contamination accidentelle (une inondation due à la maîtrise d’un incendie, à des modifications apportées par l’homme dans le bâtiment comme un nouvel aménagement des surfaces, la mise en place du chauffage, etc.) ;
  • la contamination latente (généralement dans le cas d’un édifice confiné, d’un empoussièrement élevé, etc.).

Trois exemples viennent illustrer ces propos :

  • La contamination du Parlement de Rennes :
    Pour éteindre un incendie déclaré dans cet édifice, les pompiers ont utilisé des tonnes d’eau tirées de la Vilaine. La quantité et la qualité de l’eau utilisée, couplées à une mauvaise coordination des équipes techniques, ont contribué à un développement microbiologique généralisé en 8 jours. Un traitement long et coûteux a permis d’éradiquer cette prolifération. Pour cela plusieurs types de traitement ont été mis en place : traitement des boiseries, de l’atmosphère et des surfaces, soit par application directe de produit désinfectant soit par thermonébulisation.
  • La contamination du musée de la dentelle de Calais :
    Après le départ à la retraite du responsable technique, la maintenance des déshumidificateurs a été arrêtée. De ce fait, en quelques mois des moisissures se sont développées sur l’ensemble des collections.
    Là encore, des traitements longs ont permis d’éradiquer cette contamination.
  • La contamination de la grotte de Lascaux :
    Cette grotte après sa découverte a fait l’objet de visites intensives de la part du public. Dès lors, le fragile équilibre de cet écosystème a été perturbé par des apports de contaminants, de vapeur d’eau, de lumière, qui ont favorisé le développement de micro-organismes sur les parois.
    La grotte fut alors fermée au public en 1966, afin de permettre les traitements curatifs nécessaires et de préserver ce site.
    Des traitements curatifs au formaldéhyde couplés à une régulation des conditions climatiques ont permis d’éradiquer la contamination.
    Or, 40 ans après, le changement des appareils de régulation des conditions climatiques a perturbé encore une fois l’équilibre du site conduisant cette fois à un développement microbiologique sur les parois.
    Cette contamination est toujours en cours de traitement.

Evolution

Ces différents exemples montrent bien l’ampleur des difficultés que doit affronter l’équipe du LRMH, afin de protéger les monuments des méfaits des microorganismes. Leur intervention s’inscrit, par la force des choses, dans une approche plus curative que préventive.

Cependant, afin d’intervenir le plus en amont possible, le LRMH a mis au point un système de « nez renifleur » capable de détecter certaines molécules émises par les moisissures (COVM : composés organiques volatiles microbiens), appareil qui permettra de détecter précocement les zones contaminées et donc de réagir le plus rapidement possible afin d’éviter une contamination généralisée.

 

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III/La mycologie prévitionnelle

(Philippe Dantigny, laboratoire de génie des procédés microbiologiques et alimentaires)

 

 

Etat des connaissances

 

La mycologie prévisionnelle étudie l’influence des facteurs de l’environnement sur la cinétique de développement des moisissures en tenant compte de leurs spécificités. Ces études utilisent des outils mathématiques établis pour la microbiologie prévisionnelle développée pour les bactéries. Malgré la complexité des phénomènes biologiques, ils peuvent être modélisés par des lois simples.

Afin d’établir de tels modèles, il faut prendre en compte les spécificités des moisissures. Par exemple, elles se propagent par le biais de spores, petites sphères déshydratées, légères, qui sont produites en grande quantité par les moisissures. Ces spores sont véhiculées par l’air et elles se sédimentent sur tous les supports. Dans des conditions favorables, les spores germent et se développent sur le support contaminé en le dégradant. La croissance des moisissures implique la germination et l’extension des hyphes formant finalement le mycélium c’est-à-dire le corps de la moisissure. Nous pouvons considérer que la germination est le stade crucial qu’il faut absolument éviter, les spores sortent de l’état végétatif, de dormance pour avoir une activité biologique. Or, quels sont les facteurs qui influencent la germination ?

Malheureusement, peu d’études répondent à cette question, peu de travaux ont été réalisées sur la cinétique de germination des spores ou sur l’influence des paramètres environnementaux, par exemple la température, l’humidité relative, le PH, etc. La mycologie prévisionnelle, science nouvelle, travaille sur cet objectif notamment pour le secteur de l’agroalimentaire.

 

Les facteurs influençant le développement fongique

 

Il a pu être établi que selon les conditions environnementales la croissance des moisissures est plus ou moins rapide. Le taux de croissance le plus élevé est obtenu quand tous les facteurs de l’environnement sont à leur niveau le plus favorable.

Or, il y a beaucoup de facteurs qui peuvent limiter le développement fongique: par exemple le support qui peut contenir des inhibiteurs, les facteurs internes aux supports comme le pH et les facteurs externes comme l’activité de l’eau, la température.

L’interaction entre différents organismes qui se développent sur le même support peut affecter le métabolisme des moisissures. Par exemple il peut y avoir des phénomènes de compétition pour le substrat limitant ainsi la croissance, mais aussi des phénomènes de synergie : un organisme peut se développer seulement si un autre organisme est présent. L’état physiologique des spores peut aussi avoir une incidence sur la cinétique de germination ainsi : le stress subi par les spores, l’âge des spores, les conditions de production des spores sont aussi des facteurs à prendre en compte.

 

schéma de développement des moisissures

schéma de développement des moisissures

Les modèles

 

La première étape de la mycologie prévisionnelle est de déterminer les facteurs principaux au moyen d’études simples. Ainsi, il a été possible de déterminer que l’activité de l’eau est le facteur principal à prendre en compte pour contrôler la croissance des moisissures ; d’autres facteurs interviennent comme la température mais dans une moindre mesure. De même, pour le PH, il a été montré qu’il n’avait aucun effet significatif sur la germination de spores !

Il faut ajouter à cela, l’action réciproque de deux facteurs ; par exemple il a été démontré une synergie entre l’humidité et la température.

La deuxième étape de la mycologie prévisionnelle est de modéliser par des lois simples la cinétique de germination selon les facteurs environnementaux. Les formules mathématiques développées lors du séminaire ne seront pas détaillées ici.

Le but ultime de la mycologie prévisionnelle est de créer des outils mathématiques capables de prédire la germination des spores de moisissures selon les conditions environnementales. L’usage d’un tel outil, s’il est développé, permettra de répondre à cette question : dans un endroit donné et dans un environnement connu, à quel moment les spores vont-elles germer ?

 

Bilan

 

Plusieurs pistes peuvent être définies, pour réaliser ces modèles prédictifs appliqués au domaine patrimonial. Par exemple, établir la liste des microorganismes susceptibles de se développer sur les supports (cuir, papier, parchemin, etc), rechercher leurs caractéristiques physiologiques ainsi que les caractéristiques physiques des supports. À partir de ce constat, établir des modèles simples permettant de connaître l’influence des facteurs environnementaux sur des spores déposées sur ces différents substrats.

 

En attendant les résultats de ces recherches des moyens simples peuvent être mis en place afin d’éviter le développement fongique sur les ouvrages, comme le contrôle de l’humidité relative dans les magasins de stockage, l’humidité étant le premier facteur déclenchant la germination des spores de moisissures. La température doit aussi être contrôlée afin d’éviter des phénomènes de condensation augmentant de fait l’humidité relative; de même la ventilation limite ces phénomènes de condensation. Il faut également tenir compte du niveau d’empoussièrement des collections et des magasins. Car les spores qui sont véhiculées par l’air se sédimentent sur tous les supports; ainsi, en diminuant la poussière, on diminue le nombre de spores viables susceptibles de germer à la moindre variation climatique.

 

Tony Basset, BnF, Département de la conservation, Laboratoire

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