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in Actualités de la conservation, n° 25, janvier-décembre 2006
Les effets pernicieux de la pollution atmosphérique sur les documents d’archive et de bibliothèque ont été très largement démontrés et à ce titre, des normes ont été rédigées et des efforts réalisés par les fabricants de filtres et les architectes, afin d’améliorer les systèmes de purification de l’air entrant dans ce type d’établissement.
Le nouveau bâtiment de la Bibliothèque nationale de France, installé sur le site François-Mitterrand, a été conçu comme un établissement type, prenant en compte les nouvelles règles de la conservation préventive. Les matériaux ont été scrupuleusement choisis, des centrales de climatisation, équipées de filtres à charbon actif et filtres à particules, ont été mises en place.
Malgré ces systèmes, des problèmes de corrosion sévères ont été observés sur les batteries froides en cuivre des armoires de climatisation de marque “Hiross” placées à l’intérieur des aires de stockage des collections. Ces armoires d’appoint, complémentaires des systèmes de climatisation centralisés, permettent de régler l’humidité relative à l’échelle du magasin. Leur durée de vie normale est de 15 à 20 ans, celle des armoires installées à la BnF aura été limitée à 6 ans.
La corrosion constatée à l’époque était principalement de nature acide dite en “nid de fourmi”, dont le principal agent responsable connu est l’acide formique. À ce problème s’est ajoutée l’année suivante une corrosion de nature très différente sur les batteries chaudes des mêmes armoires : les brasures contenant de l’argent étaient très fortement dégradées tandis qu’un dépôt noir qui s’est révélé être de nature soufrée (sulfure de cuivre), était visible sur les tubes en cuivre.
Suite à ces problèmes de corrosion, un remplacement des 188 batteries
froides des tours et socle ainsi que des 100 batteries chaudes du socle
a été effectué, entraînant un surcoût très important pour l’établissement.
Suite à ce constat, le laboratoire du département de la conservation,
site Bussy, avec l’aide du Centre de Recherche et de Restauration des
Musées de France (C2RMF), a décidé en 2005 de mener une étude exhaustive
sur la corrosivité de l’air dans les magasins de stockage du site
François-Mitterand de la BnF afin de déterminer la quantité et la nature des
agents responsables de cette corrosion.
Mise en place de capteurs de corrosion
Afin d’estimer la corrosivité de l’air, différents types de capteurs ont été mis en place dans 4 magasins choisis en fonction du type de collection stockée et du degré de dégradation des batteries :
Typologie des collections et de la corrosion des
batteries «Hiross» en fonction du magasin
choisi pour l’étude
L’utilisation de ces capteurs, résistances électriques (Rohrback Coasaco Sytem, model 610), microbalances à quartz (Puratech, Onguard 2000) coupons en cuivre et argent (Purafil), permet de reproduire et de suivre dans le temps la corrosion initialement constatée sur les tubes cuivre et les brasures argent des armoires Hiross. Des films d’argent et de cuivre pur, composants principaux des capteurs, sont donc installés dans les magasins sur une période plus ou moins longue, en l’occurrence 1 an dans les magasins de Tolbiac en raison de la faible corrosivité de leur atmosphère. L’épaisseur de la couche de corrosion est mesurée régulièrement, et la composition chimique de celle-ci est analysée en fin de sondage.
Des campagnes d’analyses de l’air de ces mêmes magasins (dosage des composés organiques volatils -COV, acides organiques et inorganiques volatils) ont été également menées par le Laboratoire d’Hygiène de la Ville de Paris.
Ces analyses ont été réalisées en mode dynamique, par pompage d’un volume d’air défini. Les composés volatils sont collectés sur des cartouches adsorbantes solides dont la nature est adaptée au composé recherché, puis analysés dans un second temps en laboratoire.
Corrosivité de l'air
Les résultats obtenus grâce aux capteurs de corrosion ont confirmé l’existence d’une pollution soufrée, plus ou moins importante, selon le magasin. Cette pollution s’avère être de source interne et dépend de la nature des collections stockées et/ou de la composition des boîtes et pochettes de conditionnement :
Epaisseurs de corrosion mesurées sur les microbalances à quartz après 1 an d’exposition
Le tableau 2 suivant récapitule les concentrations en composés volatils déterminées par le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris.
Résultats des mesures relatives aux échantillonnages
d’air effectués par le LHVP
dans 4 magasins de stockage du site F.-Mitterrand de la BnF
Les conclusions suivantes peuvent être ainsi tirées :
Un certain nombre de normes et recommandations ont été publiées ; elles définissent des critères de classification pour la détermination de la corrosivité des atmosphères d’intérieur à faible corrosivité, (bureaux, zones de stockage, etc.) ou celle des atmosphères des industries chimiques ou métallurgiques. Parmi ces normes, l’ISO DIS 11844 est la plus exigeante en termes de seuils de corrosion admissibles. Si l’on se réfère à cette norme, l’environnement du magasin L1-28 est considéré comme étant peu corrosif pour l’argent et faiblement corrosif pour le cuivre. Pour le magasin L1-40 dont les valeurs de corrosivité sont les plus élevées, l’atmosphère est moyennement corrosive pour l’argent et le cuivre. Notons que cette norme définit cinq catégories de corrosivité pour l’argent, le cuivre, le zinc et l’acier au carbone, et qu’une atmosphère moyennement corrosive correspond à la troisième catégorie.
Concernant les teneurs en composés volatils déterminés par le LHVP,
on retiendra qu’elles ne présentent aucun risque pour l’hygiène et la
santé des personnes. Globalement, peu de composés
organiques volatils ont été mis en évidence. Les niveaux mesurés sont
dans les plus mauvais cas, du même ordre de grandeur que ceux observés
dans l’air urbain, sur les sites de surveillance implantés à l’écart
des émissions automobiles. Le taux de formaldéhyde en particulier reste
très nettement inférieur à la valeur guide de 100 μg.m-3 que l’OMS recommande
de ne pas dépasser dans le but de protéger la population générale.
La norme internationale ISO 11799 de janvier 2004 suggère, pour certains polluants atmosphériques, des limites maximales tolérées pour le stockage à long terme des documents d’archives et de bibliothèques. Si l’on se réfère aux seuils déterminés par cette norme pour le formaldéhyde et l’acide acétique, seul le magasin L1-28 possède une atmosphère appropriée à la bonne conservation des collections sur le long terme. Il y donc lieu de s’inquiéter sur les conditions de conservation des collections stockées dans les trois autres magasins.
L’étude prospective menée depuis un an dans certains magasins de stockage du nouveau bâtiment de la BnF a permis de montrer l’existence d’une pollution interne probablement émise par les collections elles-mêmes et/ou certains matériaux de conditionnement. La nature chimique de ces polluants et leurs effets sur la corrosivité de l’air diffèrent selon le type de collection stockée.
Tandis que les documents audiovisuels, bandes magnétiques en particulier,
émettent surtout du toluène et des hydrocarbures volatils, les documents
papiers libèrent essentiellement des aldéhydes et de l’acide acétique.
Ces deux composés volatils dépassent très souvent les limites maximales
préconisées
par les normes et préconisations qui s’appliquent au stockage à long
terme des documents d’archives et de bibliothèques.
Le gaz soufré, qui entraîne une corrosion du cuivre et de l’argent,
n’a pas pu être identifié dans cette première phase de l’étude ; il
ne s’agit ni de dioxyde de soufre, ni de sulfure d’hydrogène. Ce composé
est plus abondant dans les magasins renfermant des quantités élevées
de boîtes en carton fibres noires. On est donc enclin à penser que ces
conditionnements pourraient être responsables de la
pollution soufrée, très peu décrite dans la littérature. Des études
complémentaires doivent néanmoins être menées afin de vérifier cette
hypothèse et déterminer la structure de ce composé soufré.
Une corrosion acide dite en "nid de fourmis", dont le principal agent responsable connu est l’acide formique, a été observée sur les parties cuivrées de très nombreuses armoires "Hiross".Or, si de l’acide acétique est bien présent dans les magasins où sont conservés des documents papier, aucune trace d’acide formique n’a pu être détectée par les différentes campagnes d’analyses d’air. Il reste donc là un point à éclaircir. Notons que la présence d’eau sur les parties métalliques est nécessaire pour qu’une telle corrosion ait lieu ; c’est la raison pour laquelle seules les parties froides des batteries où se forment les condensas ont été touchées. Les coupons et les corrosimètres, qui ont été placés dans l’air relativement sec des magasins, présentaient bien une corrosion soufrée mais n’ont montré aucun signe de corrosion acide.
En tout état de cause, cette pollution interne est très certainement liée à une inadéquation du système de traitement de l’air choisi sur le site de Tolbiac, au stockage à long terme des collections de bibliothèques et d’archives. Pourtant très attentive aux nouveaux aspects de la conservation préventive, l’équipe oeuvrant à la conception du nouveau bâtiment de la BnF est partie du postulat que les collections n’émettent pas ou très peu de composés volatils. Attitude légitime puisqu’il y 10 ans, ces composés étaient encore largement sous estimés voire ignorés. Par souci d’économie d’énergie des systèmes de ventilation privilégiant le recyclage simple de l’air intérieur ont été adoptés ; sur chaque volume d’air entrant en magasin, 10% seulement correspond à de l’air neuf dépollué, issu de l’extérieur.
Ainsi, en cas de pollution interne, l’atmosphère se charge progressivement des composés volatils et sa qualité s’appauvrit au fil du temps, même lorsque le taux d’échange est très important, jusqu’à atteindre un état d’équilibre. Les collections risquent alors de se trouver dans une situation similaire à celle observée pour les documents conservés dans des microclimats hermétiques dans lesquels la dégradation se trouve fortement accélérée.
L’étude présentée ici renouvelle donc quelque peu la problématique
de la conservation préventive des documents d’archive et de bibliothèque.
Elle montre l’importance de facteurs de dégradation autres que la température
et l'humidité, à savoir les composés organiques volatils libérés par
les collections
elles-mêmes et/ou leurs conditionnements.
L’identification des COV émis devra certes être complétée, mais il
serait également intéressant de vérifier leur incidence sur les collections
saines. L’ensemble de ces critères contribuerait à une meilleure maîtrise
des conditions de conservation de nos collections. Ils permettront en
particulier de
reconsidérer les normes et préconisations portant sur les systèmes de traitement
de l’air mais également, d’affiner les critères de contrôle-qualité des matériaux
de conservation, en tenant compte également des composés organiques volatils.
Thi-Phuong Nguyen, Départementde la
Conservation, Laboratoire
Michel Dubus, C2RMF
Stéphane Mareynat, BnF, DMT, Exp