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Premiers résultats
in Actualités de la conservation , n° 25, janvier-décembre 2006
Depuis janvier 2004, la Bibliothèque nationale de France, en collaboration avec le Centre de Recherches sur la Conservation des Documents Graphiques (CRCDG), mène une étude visant à la sélection d’un cuir de veau de tannage végétal, offrant de bonnes garanties de conservation. Il est aujourd’hui en effet difficile de trouver sur le marché un cuir neuf de qualité pour mener à bien les restaurations de livres anciens. Contrairement au papier, il n’existe aucune norme destinée aux cuirs et les restaurateurs s’en remettent donc bien souvent à une simple appréciation visuelle et tactile du matériau. Ce manque de repères est accru par le fait que chaque peau est unique et qu’une partie du processus de tannage, souvent effectué à l’étranger, échappe au contrôle du tanneur français et ainsi à la connaissance de l’acquéreur.
Cette difficulté est d’autant plus inquiétante qu’on peut observer que bon nombre de reliures en cuir, présentant des restaurations effectuées à l’aide de ce matériau, nécessitent un nouveau traitement au bout de peu d’années.
À gauche, defets d’un
ouvrage en plein veau réalisé dans les années 1970-80 probablement,
dont les armoiries seules ont été incrustées dans |
La détérioration précoce des cuirs de tannage végétal a fait l’objet de diverses études, parmi lesquelles le projet européen Environment. Celui-ci a, entre autres, établi un certain nombre de critères scientifiques auxquels doivent répondre les cuirs de tannage végétal pour envisager leur usage en conservation. Ces recommandations n’ayant jamais été éprouvées sur un ensemble de cuirs neufs, il a été décidé, dans un premier temps, de baser notre étude sur les résultats de ce projet et d’analyser un corpus de cuirs disponibles sur le marché actuel. La recherche s’est concentrée sur le veau de tannage végétal, type de cuir largement représenté dans les collections de reliures. Trente-sept échantillons de cuir de veau ont donc été collectés auprès de différentes tanneries d’Europe de l’Ouest.
L’ensemble des échantillons acquis a été soumis à une première série de tests. Seuls ceux retenus à l'issue de cette première phase ont été évalués de manière plus approfondie.
Série de tests | Critères de sélection | Analyses correspondantes |
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1e série | Le cuir ne doit pas contenir de chrome. | Analyse élémentaire par microscopie électronique à balayage couplée à la microanalyse X. |
Le pH de l’extrait aqueux doit avoisiner la valeur 4 et l’indice de différence doit être inférieur à 0,7. | Mesure du pH et calcul de l’indice de différence (norme AFNOR G52-214). | |
La température de dénaturation doit être située entre 80 et 90°C. L’enthalpie de la dénaturation doit être supérieure à 50 J/g de collagène. | Mesure de la température de dénaturation (par la technique de la calorimétrie différentielle à balayage). | |
2e série | Le tannin doit être uniquement de type hydrolysable | Détermination du type de tannin et de sa composition (par chromatographie liquide haute performance en phase inverse) |
La résistance à la déchirure doit être supérieure ou égale à 25 N/mm. | Mesure de la résistance à la déchirure (Norme NF G 52-014). | |
Le rapport des acides aminés basiques/acides (B/A) doit être supérieur à 0,69. | Analyse quantitative des acides aminés du collagène (par HPLC). | |
La concentration en sulfates ne doit pas excéder 0,2 % du poids de cuir. | Détermination des anions par électrophorèse capillaire. | |
Détermination des anions par électrophorèse capillaire. | Analyse des lubrifiants (par analyse gravimétrique et par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse). |
À l’issue de la première série de tests, on observe que neuf cuirs du corpus contiennent du chrome et ne correspondent donc pas à la demande initiale formulée aux tanneurs. Les critères de sélection n’étant pas destinés à ce type de tannage, ces cuirs ne sont pas retenus. Les mesures de pH et les calculs d’indice de différence aboutissent également à l’élimination de 14 cuirs. Enfin, 22 cuirs présentent de mauvaises valeurs de température et d’enthalpie de dénaturation. Il résulte donc de cette première série de tests que seuls onze cuirs réussissent à satisfaire l’ensemble des critères et peuvent subir la seconde étape.
La valeur-seuil de résistance à la déchirure fixée par les recommandations est atteinte par l’ensemble des cuirs testés. En revanche, la quasitotalité des tannins végétaux employés pour la fabrication de ces cuirs semble appartenir à la famille des tannins condensés, type de tannin dont l’influence néfaste sur la conservation des cuirs a été mise en évidence lors de différentes études. Le taux de sulfate qui témoigne de l’emploi d’acide sulfurique pour accélérer le processus d’épilage est, dans la majorité des cas, beaucoup trop important. De ce fait, on constate, à l’issue de cette deuxième série de tests, qu’aucun des cuirs analysés ne satisfait à l’ensemble des critères. L’analyse quantitative des acides aminés du collagène ainsi que l’analyse des lubrifiants ont donc été menées à titre indicatif.
Aucun des cuirs testés ne répond à l’ensemble des critères établis par le projet Environment et ne présente donc, à ce titre, de garanties suffisantes pour un usage en conservation. Cette première étude soulève donc plusieurs interrogations, parmi lesquelles la pertinence du niveau d’exigence des critères et/ou la qualité des cuirs actuels. En effet, issus d’études théoriques, les critères établis méritent d’être réévalués et hiérarchisés en fonction de leur impact sur la conservation des cuirs. Pour cela, une collaboration avec des tanneurs apparaît aujourd’hui nécessaire, afin de mettre en relation les contraintes techniques et les données issues des études dont nous disposons. À terme, une telle confrontation devrait permettre la mise au point d’un cuir destiné à des traitements de conservation.
Coralie Barbe, Thierry Aubry, Stéphane Bouvet, Thi-Phuong
Nguyen, Isabelle Deconninck, BnF
Frédérique Juchauld, Sylvie Thao, CRCDG
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