|
in Actualités de la conservation , n° 24, juillet-décembre 2005
Le renforcement des papiers fragilisés ou la réparation des déchirures par thermocollage sont des traitements encore utilisés dans les ateliers de maintenance et de réparation des documents graphiques. Bien qu’ils ne s’appliquent que de manière peu répandue pour la réparation de documents de faible valeur ou de format atypique (plans ou cartes de grandes dimensions), dans tous les cas, le choix du matériau se portera de préférence sur celui qui présentera la plus grande inertie chimique et la plus grande réversibilité. Afin de guider les restaurateurs dans le choix de leur produit, une étude a été menée en 2005 à la BnF qui portait sur la comparaison de 5 produits de doublage par thermocollage actuellement disponibles sur le marché français : ABF Atlantis, ABF Stouls, Archibond Tissue Atlantis, Filmoplast R Filmolux et Texicryl Archibond Stouls. 3 critères ont été évalués : évolution de la couleur lors d’un vieillissement artificiel à la chaleur, évolution de la résistance à la déchirure, réversibilité.
Les papiers utilisés comme témoins pour l’étude du renforcement par thermocollage ont été fabriqués par le Centre Technique du Papier. Il s’agit de papiers acides (pH=4,5) constitués à 60% de pâte mécanique et 40% de pâte chimique blanchie, encollés à l’alun colophane en milieu acide et contenant 10% de charge (kaolin). Ces papiers sont représentatifs des documents constituant la “période noire” de nos collections : papiers acides produits entre la deuxième moitié du 19e et la - première moitié du 20e siècle.
5 matériaux de doublage par thermocollage ont été testés :
Une analyse fibreuse a conclu à la présence de chanvre de Manille dans les 3 échantillons E2, E3 et E4. Tous les échantillons ont été laminés dans les conditions préconisées par les fabricants, la durée de lamination étant la même pour tous, soit 4 minutes.
Il a été constaté que tous les produits de doublage par thermocollage entraînent après vieillissement artificiel à 80°C et 50% d’humidité relative, une évolution de la couleur du papier doublé (voir graphe 1). Celle-ci se traduit essentiellement par un jaunissement, visible à l’oeil nu pour la plupart des échantillons dès les deux premières semaines de vieillissement. Les supports de doublage peuvent être classés selon leur effet sur le jaunissement des papiers doublés dans l’ordre suivant :
On remarquera que de tous les papiers doublés, ceux qui l’ont été avec du Filmoplast R jaunissent beaucoup moins. Il faut souligner que ce produit comporte une très fine couche d’un polymère acrylique de couleur blanche, chargé de carbonate de magnésium et intimement lié aux fibres. C’est très probablement la présence de ce film qui limite le jaunissement du papier doublé. Notons que même lorsque le Filmoplast R est soumis à une extraction dans l’acétone à chaud à 150°C pendant 1 heure, ce film reste solidaire de la couche fibreuse. L’adhésif extrait ne semble pas avoir strictement la même composition que ce film, et paraît par ailleurs plus jaune que les adhésifs extraits des autres produits de doublage.
Graphe 1 : |
L’amélioration des propriétés physiques des papiers est très différente selon le matériau de doublage utilisé (graphes 2 et 3). On peut différencier deux grande catégories de produits :
La résistance à la déchirure des échantillons diminue assez rapidement lors du vieillissement. Après 63 jours, la plupart d’entre eux ont globalement perdu la moitié de leur résistance initiale. L’échantillon doublé au Filmoplast R semble toutefois moins sensible puisqu’après ce délai, il ne perd que 20% de sa résistance initiale.
Graphe 2 : évolution de la résistance à la déchirure des papiers doublés au cours du vieillissement |
Graphe 3 : évolution de la résistance à la déchirure des papiers doublés avec un produit à base de cellulose au cours du vieillissement |
La réversibilité des produits des matériaux est un facteur qu’il ne faut pas négliger lorsqu’une opération de doublage est entreprise. Si la décision doit être prise de délaminer le support de doublage, cette opération doit non seulement pouvoir être effectuée de manière simple, mais elle doit pouvoir également comprendre l’élimination de l’adhésif. Par immersion dans l’éthanol ou l’acétone, nous avons constaté que cette dernière condition est impossible avec le Filmoplast R ; elle n’est que partielle avec les autres produits.
Sauf pour les échantillons doublés au Filmoplast R pour lesquels il faut exercer une certaine action mécanique après immersion pour assurer une délamination du support de doublage, celle-ci se fait spontanément en moins de 5 minutes pour les autres échantillons. Outre le fait que l’acétone soit plus efficace que l’éthanol, il a été constaté que plus les échantillons sont vieillis, moins la délamination est facile à réaliser. Elle devient impossible pour les échantillons doublés au Filmoplast R.
Cette étude n’a pas permis de sélectionner le produit à utiliser pour le doublage par thermocollage des documents. Il apparaît en effet qu’aucun des produits de doublage analysés ne répond à l’ensemble des critères recommandés pour une utilisation en conservation des œuvres graphiques et photographiques : stabilité de la couleur, stabilité mécanique et réversibilité. Le choix du support se fera donc au cas par cas, en fonction des besoins, du type de document, et de son utilisation après doublage.
Ainsi, à cause en particulier de sa faible, voire de sa non réversibilité, le doublage par thermocollage ne doit pas être systématisé. Rappelons qu’une circulaire ministérielle datant du 20 janvier 1999 interdit aux Archives de France un tel traitement “pour les papiers à base de pâte de chiffon (papiers antérieurs à 1860), à l’exception des documents très fragilisés ou très consultés dont la restauration complète manuelle présenterait un coût trop excessif” .
Thi-Phuong Nguyen, Stéphane Bouvet, Département
de la Conservation, laboratoire
Françoise Richard, étudiante en Maîtrise de conservation-restauration
des biens culturels