La BnF engage une réflexion
sur le thème des encres ferrogalliques

in Actualités de la conservation , n° 21, septembre-décembre 2003

La grande majorité des encres anciennes utilisées pour l’écriture jusqu’à la fin du XIXe sont des encres ferrogalliques, fabriquées à partir de sels métalliques, d’extraits de noix de galle, et de gommes. Selon les ingrédients employés, leurs proportions et leur mode de préparation, ces encres présentent des aspects visuels très variés et vieillissent de façons très différentes : on peut ainsi, dans un même ouvrage, rencontrer des inscriptions très bien conservées qui en côtoient d’autres, en revanche très altérées.

 

La restauration des documents comportant des encres ferrogalliques soulève plusieurs difficultés : il est souvent nécessaire, pour le maintien de l’intégrité physique du document, de procéder à des opérations classiques de restauration, comme par exemple la réparation des déchirures, le comblement des lacunes, le doublage par un japon fin, le réencollage du papier… Ces opérations requièrent pour la plupart un apport d’eau ou d’alcool, très souvent limité à l’utilisation de la colle. Même si cet apport est généralement très faible, son influence sur les différents typesd’encres ferrogalliques n’a jusqu’à présent pas été étudiée. Or, on observe que selon leur composition et leur état de conservation, les encres sont susceptibles de réagir de manières très différentes aux opérations de restauration, et certains effets secondaires peuvent apparaître, comme en particulier la formation d’auréoles autour des inscriptions. Les méthodes de diagnostic sont là encore particulièrement restreintes et reposent essentiellement sur l’expérience personnelle du restaurateur.

 

Par ailleurs, il existe différents traitements chimiques susceptibles d’être employés pour le traitement des encres ferrogalliques. On dispose cependant de peu d’informations sur leurs effets à moyen et long terme. L’efficacité de ces traitements varie probablement d’une encre à l’autre et cet aspect n’a, à notre connaissance, pas été abordé par les laboratoires qui s’investissent sur le sujet. Là encore, la définition d’un diagnostic d’intervention serait particulièrement souhaitable, avant d’envisager l’utilisation de ces différents traitements. Pour ces différentes raisons, l’attitude adoptée par les restaurateurs confrontés à des documents altérés comprenant des encres ferrogalliques reste généralement la prudence. Faute de recul suffisant, les interventions se limitent généralement à des intervention d’urgence, visant à maintenir l’intégrité physique du document, et les traitements désacidifiants ou antioxydants élaborés par différentes équipes européennes sont pour ainsi dire peu ou pas utilisés.

 

Ainsi, l’impact à moyen et long terme des traitements traditionnellement employés sur des documents comportant des encres ferrogalliques reste une question largement ouverte. C’est pourquoi, à l’initiative de la BnF, un effort particulier va être dédié cette année à la mise en place d’un groupe de travail rassemblant conservateurs, restaurateurs, et chercheurs impliqués dans la problématique des encres ferrogalliques.

Ce groupe, coordonné par Véronique Rouchon Quillet, enseignant chercheur à l’Université de La Rochelle, et par Thi Phuong Nguyen, ingénieur au laboratoire de la Bibliothèque nationale de France, travaillera dans un premier temps à une synthèse des différents procédés de restauration employés sur des documents de manière à sélectionner les procédés les plus représentatifs. Cette synthèse s’appuiera sur l’expérience des restaurateurs de la BnF. Les services des Archives de France, et les élèves restaurateurs de l’Institut National du Patrimoine (INP), confrontés à des difficultés analogues, seront également consultés à ce sujet.

Le travail expérimental sera mené conjointement sur des échantillonsmanuscrits fabriqués en laboratoire et sur des documents anciens sans valeur. La fabrication des échantillons manuscrits de laboratoire sera réalisée en partenariat avec l’Université de La Rochelle, le Centre de Recherche sur la Conservation des Documents Graphiques (CRCDG), les ateliers de restauration de la Bibliothèque nationale de France, et l’atelier des élèves restaurateurs de la section des arts graphiques de l’INP. Ces échantillons s’inspireront du travail effectué à l’Université de La Rochelle et au CRCDG. Les Archives départementales seront sollicitées pour la mise à disposition de documents anciens sans valeur.

 

L’observation visuelle des échantillons et les tests de comportements pourront être réalisés pour la plupart dans le laboratoire de la BnF. Les analyses plus fines relatives au dosage des quantités de fer et au suivi de la dégradation du tannin et de la gomme arabique seront en revanche réalisés par les laboratoires d’analyse physico-chimique impliqués dans le Programme Commun de Recherche sur les encres ferrogalliques, dénommé PCR “encre”, mis en place par la MRT du Ministère de la Culture depuis 2002. Ce groupe poursuit une recherche située largement en amont des préoccupations des restaurateurs, car elle concerne principalement une meilleure compréhension des mécanismes de dégradation de l’encre et de son support. Cependant, la méthodologie d’analyse mise au point au niveau de ce groupe sera particulièrement utile à l’évaluation des effets induits par les méthodes de restauration sur les encres ferrogalliques. A ce titre, la démarche du PCR “encre” est tout à fait complémentaire au projet d’expertise porté par la BnF, car elle permet d’envisager l’utilisation de techniques d’analyses particulièrement élaborées qui ne peuvent pas être développées au sein du laboratoire de la BnF.

 

Il existe actuellement sur le thème des encres ferrogalliques un projet européen de recherche dénommé “INKCORR” piloté par une équipe slovène. Ce travail, dont le terme est prévu pour 2004, investit de nouvelles méthodes de traitements chimiques des encres ferrogalliques par des agents antioxydants en phase alcoolique. Du 17 au 21 novembre2004, seront organisées à Lubljana des conférence et des ateliers, où seront exposés les conclusions des recherches réalisées. Le lancement, à la BnF, d’une étude sur l’impact des méthodes traditionnelles permettrait de compléter cette démarche et de promouvoir au niveau européen le travail effectué en France. Enfin,depuis 2003 s’est mis en place un réseau européen dédié aux difficultés de conservation des documents papier comportant des métaux de transition (fer, cuivre,…). Ce réseau dénommé “MIP” (Metal In Paper) rassemble des représentants de 13 pays européens, et constitue une plate forme d’échange pour l’élaboration de différents partenariats. Véronique Rouchon Quillet qui en est la représentante française, est chargée d’organiser la prochaine réunion de ce réseau en juillet 2004 à l’Université de La Rochelle. Cette réunion donnera lieu à l’organisation d’une journée d’échange ouverte à l’ensemble des membres du PCR “encre”, ainsi qu’aux restaurateurs et conservateurs impliqués dans le sujet.

 

Véronique Rouchon Quillet, enseignant chercheur à l’Université de La Rochelle