Politique de conservation

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Évaluation systématique d’un fonds ancien dans
le département sciences et techniques de la BnF

in Actualités de la conservation , n° 21, septembre-décembre 2003

A la Bibliothèque nationale de France, la gestion des actes de conservation est un domaine complexe, partagé entre les responsables des collections de la bibliothèque et le département de la conservation divisé en quatre services comprenant des ateliers de restauration et situés sur quatre sites éloignés les uns des autres. Les intervenants, les structures, les circuits sont nombreux et variés et la nécessité de soumettre un tel ensemble hétérogène à une programmation aussi rigoureuse que possible s'est vite imposée sous peine de paralysie générale du système.

 

Le responsable de collections est invité, chaque année, pour chaque type de traitement requis par l'état des fonds dont il a la responsabilité, à répartir des quotas annuels sur les filières proposées par le département de la conservation. L’orientation des documents vers ces filières est gérée par un poste de définition qui avait, à l’origine du projet, un rôle de définition des traitements et de coordination. Si l'exercice est tout juste fastidieux pour certains types de traitements où les unités de compte sont relativement connues et homogènes (microreproduction, reliure mécanisée, désacidification, conditionnement sur mesure), il se révèle être beaucoup plus épineux pour tout ce qui concerne les interventions portant sur des documents anciens (restauration, réparation reliure) où les unités de mesure des interventions sont beaucoup plus fluctuantes et parfois difficiles à estimer en amont des ateliers.

 

Dans ce domaine, la définition des filières mises en place dans le cadre de la programmation s'est vite avérée très théorique, à la fois pour les responsables des collections et pour le poste de définition chargé de constituer des lots homogènes de documents et de les orienter vers les différentes filières, tout en respectant les quantités correspondantes aux moyens de l’établissement.

 

Après quelques temps d'un fonctionnement insatisfaisant pour l'ensemble des agents impliqués dans cette activité, il est apparu comme une évidence que les choses deviendraient beaucoup plus simples et plus rationnelles si les divers intervenants de la chaîne de traitement travaillaient ensemble dès la préparation des documents à la source.

Les responsables de l’atelier de restauration de Marne-la-Vallée ont donc été invités à venir examiner des lots de documents dégradés que le département Sciences souhaitait traiter.

Chaque ouvrage a été vu conjointement, d'abord pour arrêter les traitements à mettre en œuvre parmi les solutions possibles, ensuite pour estimer les temps d'intervention nécessaires, puis pour constituer des lots homogènes ciblés, correspondant bien aux spécialités et aux disponibilités des différents ateliers concernés de l'établissement.

Les effets bénéfiques d'une telle pratique ont été immédiats. Les temps de préparation se sont trouvés réduits de façon importante. Les responsables de collections ont fortement apprécié les apports d'une expertise supérieure à la leur, et l'examen des documents s'en est trouvé moins itératif et sous-tendu de considérations techniques adaptées à chaque cas particulier. Les restaurateurs de Marne ont de leur côté semblé apprécier la prise en compte, au cours de ces séances de travail de données qui leur restent habituellement étrangères : l'usage qui est fait des documents, leur fréquence de consultation, la représentativité d'un type d'ouvrage dans un fonds, son atypie ou au contraire sa présence en série.

 

L'idée de prolonger ces rencontres conjoncturelles par une opération de plus longue haleine, mieux structurée et plus scientifique est donc venue naturellement. Des séances de travail régulières ont eu lieu dans les magasins, dans le but d'expertiser un ensemble cohérent de documents anciens. Les grands formats du fonds de sciences naturelles, constituant le début de la cote Inventaire S ont été choisis, sur proposition du Département sciences et techniques. Alice Robin dit ci-dessous comment s'est déroulé le chantier, selon quelle méthode, et en expose quelques résultats. Il faut garder à l'esprit que cela représentait une opération test, qui doit se répéter pour constituer éventuellement l’embryon d’une méthode d’évaluation d’un fonds ancien en termes de besoins de maintenance/ consolidation/restauration.

L’évaluation du fonds

Un travail d’évaluation d’un fonds du département Sciences et techniques a été entrepris en fin d’année 2002. Il s’agissait au départ de faire collaborer une équipe de la direction des Collections, sous la direction de Bruno Jeannet et en collaboration avec Josiane Gandois, avec une équipe de restaurateurs du centre technique de Bussy-Saint-Georges (CTBnF), sous la direction de Thierry Aubry. Ce travail avait pour but de créer des liens plus étroits entre les différents services afin d’harmoniser le travail de définition des traitements et d’orientation des ouvrages et les filières existantes.

Afin de réaliser cette étude, le choix s’est porté sur le début de l’inventaire S comprenant 665 ouvrages de grand format (folio). Pour traiter les informations, il fut décidé de créer une base de donnée sous Access permettant à la fois de recenser les documents (cote, description…), d’évaluer l’état matériel d’une partie d’un fonds mais surtout de proposer directement des filières de traitement selon celles déjà mises en place au sein du département de la conservation.

Pour cette étude, nous avons choisi de nommer ces filières de traitement par leurs noms (maintenance, consolidation…).

Les différents critères pris en compte au sein du tableau de saisie ont été les suivants:

  • l’identité du livre, comprenant simplement la cote et le format bibliographique ;
  • une description très succincte de l’ouvrage (ex : demi veau XIXème)
  • quelques observations concernant l’état et des indications de traitement.

Pour toutes les filières de traitement, un degré d’urgence a été défini de manière numérique de 1 (faible) à 3 (important). Ainsi dans chaque colonne, le degré d’urgence est signifié directement ; chaque filière étant indépendante, il est possible de croiser les données afin de ne sortir précisement des magasins que les ouvrages qui nécessitent un traitement particulier et cela en fonction de l’état d’urgence.

Les filières sont les suivantes :

  • la maintenance "reliure" est un traitement de conservation dont le temps est inférieur à deux heures.
    Elle peut être exécutée soit en atelier par des techniciens, soit par des magasiniers de la direction des collections ;
  • la maintenance "corps d’ouvrage" est un traitement de conservation dont le temps est inférieur à deux
    heures. Elle ne concerne que le traitement du papier.

Depuis peu, cette distinction n’est plus prise en compte. En effet, aujourd’hui il n’existe plus qu’une filière maintenance qui comprend à la fois la reliure et le corps d’ouvrage et dont le temps de traitement des deux, une fois cumulé, ne dépasse pas deux heures.

La consolidation est un traitement de conservation dont la durée est comprise entre deux et dix heures. La restauration est un traitement de conservation dont le temps est supérieur à dix heures (nécessitant
une estimation individuelle lorsqu’elle dépasse une vingtaine d’heures). En général, cette filière est requise quand les dégradations concernent à la fois la reliure et le corps d’ouvrage.

La reliure de conservation est un traitement de conservation dont la durée est comprise entre cinq et quinze heures (lorsque le corps d’ouvrage ne nécessite pas de traitement “papier” particulier).

Le conditionnement est proposé :

  • pour des ouvrages restaurés ;
  • pour de belles reliures ayant un intérêt historique ;
  • selon le format et/ou l’épaisseur de l’ouvrage ;
  • pour protéger un ouvrage de ceux qui l’entourent (problème de format…).

En outre, le conditionnement peut être souple ou rigide pour certains ouvrages particuliers.

Le dépoussiérage peut être à la charge des départements de collections pour les ouvrages peu sales. Si l’ouvrage nécessite une plus grande attention (ex. gommage et dépoussiérage), l’opération est effectuée en atelier.

En général, les ouvrages ayant besoin d’un dépoussiérage en atelier doivent subir également un traitement. Mais la filière reste indépendante, et la filière de dépoussiérage, seule, peut être activée. La photographie permet de repérer et d’archiver une copie de types de dégradations ou des reliures originales afin d’enrichir la photothèque de l’atelier de restauration du CTBnF.

 

1ère étape :
aperçu du tableau de recensement utilisé pour la saisie

 

première étape : aperçu du tableau de recensement utilisé pour la saisie

Lors de nos séances dans les magasins, nous avons consigné les informations sur des tableaux préalablement imprimés. Les séances d’évaluation ont eu lieu par demi journée, à raison d’une fois par semaine (souvent le lundi matin pour ne pas gêner les magasiniers et le travail de communication). Nous avons travaillé en binôme et nous sommes déplacés une dizaine de fois pour 665 volumes.

Le reste du travail, effectué en atelier, a consisté à mettre en place une base de données sur Access et à l’alimenter tout au long de l’évaluation.

Cette base nous a demandé un temps de réflexion car nous voulions non seulement nous en servir pour ce fonds mais également comme support pour des évaluations futures. Cette méthode de fonctionnement hebdomadaire, à raison d’une demi journée en magasin et d’une demi journée de saisie a permis de reprendre certaines erreurs ou manques, et ainsi de les rectifier dès la semaine suivante.

 

Ce travail suivi entre les ateliers et le département a permis de créer un outil qui s’ajuste le plus finement possible aux attentes de tous. Par exemple, pour la cote, nous n’avions créé qu’une seule colonne dans la base de données ; après discussion, nous nous sommes rendu compte que la cote ne s’utilise pas de la même manière pour le catalogage et pour la gestion des collections en magasin. En effet, la cote des imprimés comprend trois éléments distincts qui indiquent le format, la thématique (lettre) et le chiffre (structure de la cotation Clément). Nous allons donc corriger ceci pour la prochaine évaluation en établissant trois colonnes dans notre tableau de saisie des données : cela permettra éventuellement de faire des tris par formats ou par thématique.

Ce travail a également permis ponctuellement de repérer en magasin des documents à microfilmer ou certains ouvrages très dégradés ou mal conditionnés, par exemple, que Bruno Jeannet a pu orienter immédiatement dans l’une de ces filières. Mais surtout, cette base de données a permis de mieux harmoniser la définition au regard des différents traitements proposés et ainsi d’améliorer la fluidité entre le département des sciences et techniques et l’atelier de Bussy-Saint-Georges.

 

2ère étape :
type de demande que l’on peut effectuer sur la base, ici les reliures de conservation/degré d’urgence 3

 

première étape : aperçu du tableau de recensement utilisé pour la saisie

 

3ère étape :
la base permet aussi de faire le bilan et ainsi de calculer le nombre d’ouvrages à traiter par filière

 

première étape : aperçu du tableau de recensement utilisé pour la saisie

 

En conclusion, cette première évaluation nous a semblé bénéfique pour plusieurs motifs :

  • homogénéisation des traitements,
  • contacts directs entre les différents acteurs de la conservation,
  • travaux ponctuels en commun…

Ce travail ne concerne pour l’instant que le département des Sciences et techniques : un projet devrait commencer sur un ensemble de thèses datant des XIXème et XXème siècles. Cependant, nous envisageons déjà un travail identique sur d’autres fonds, en collaboration avec d’autres départements.

 

 

Bruno Jeannet , Département sciences et techniques
Alice Robin, DSC, Centre technique de Bussy-Saint-Georges