Restauration

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Projet de recherche sur la qualité des cuirs

in Actualités de la conservation , n° 20

Les conservateurs-restaurateurs de livres sont quotidiennement confrontés au problème du choix d'un cuir neuf pour le traitement des reliures anciennes dégradées. Ce travail de restauration est long et donc coûteux et ne présente parfois que peu de longévité, car le cuir utilisé peut se dégrader rapidement à son tour. En effet, selon sa nature, son origine, les méthodes de fabrication et les produits utilisés, un cuir peut présenter de larges différences de comportement au vieillissement. Ceci a notamment été montré par des études récentes effectuées sur les cuirs de tannage végétal, telles que les projets européens « STEP » et « ENVIRONMENT »1 . La connaissance et le contrôle de ces paramètres, qui sont à ce jour aucunement garantis par les tanneurs, sont pourtant indispensables à l'évaluation du comportement sur le moyen et le long terme de ces cuirs. Il serait donc important d'exploiter les résultats des études citées et de proposer des techniques de sélection pour les cuirs destinés à la conservation.

 

Il a été décidé dans un premier temps de concentrer les travaux uniquement sur les cuirs de tannage végétal afin de bénéficier pleinement des résultats des deux études citées, qui servent de base au présent projet. Des travaux ultérieurs pourront éventuellement s’attacher à étudier les cuirs de tannage minéral et les cuirs de tannage mixte (minéral/végétal) donnés dans la littérature comme piste possible pour des cuirs de conservation.

 

Afin de répondre à ces exigences de conservation, la BnF, à l’initiative du Centre Technique de la Bibliothèque nationale de France, (CTBnF), en partenariat avec le Centre de Recherche et de Conservation des Documents Graphiques (CRCDG) a lancé un projet de sélection d’un cuir de tannage végétal destiné aux traitements de conservation sur les reliures anciennes.
Le double objectif de cette recherche appliquée dont le premier volet s’échelonnera sur trois années sera donc d'une part, de sélectionner des cuirs dont les qualités physiques et chimiques répondent aux exigences requises pour leur emploi dans un cadre patrimonial et d'autre part de mettre en place un protocole de contrôle qualité.

 

Avant tout, une étape d'enquêtes sera menée auprès des différents acteurs concernés, tant Français qu’étrangers (tanneurs, laboratoires de recherches et conservateurs-restaurateurs) dont le bilan aidera à l'établissement d'un cahier des charges ainsi qu'à une première sélection de cuirs.

Il a été convenu de la nécessité d’établir trois questionnaires s’attachant aux caractéristiques propres des interlocuteurs. En introduction, un texte court exposera les objectifs du projet et la nature de la collaboration espérée grâce au questionnaire.

 

Ainsi, celui destiné aux tanneurs, comportera un premier courrier leur exposant le projet et leur demandant un échantillon de cuir de veau de tannage végétal. A la suite de cette première approche et après avoir déterminé si les cuirs reçus conviennent à nos objectifs, une collaboration plus étroite leur sera proposée via un questionnaire plus précis décomposé en trois grande catégories de questions. Celles d’ordre général porteront par exemple sur l’origine de la peau par exemple. En effet, certaines peau proviennent parfois de pays aussi éloignés que l’Inde. Dans ce cas, certaines caractéristiques devront être notées. Viendront ensuite des questions sur les techniques de tannage, sur l’utilisation de tannins condensés ou hydrolysables notamment.

 

Enfin quelques question relatives aux critères de qualité (si des tests physico-chimiques sont réalisés par exemple) termineront ce questionnaire.

 

Quant à celui qui est destiné aux laboratoires, il portera principalement sur l’encours d’éventuelles recherches sur le sujet et sur leur avancement.

 

Le dernier questionnaire est destiné aux conservateurs-restaurateurs de livres et de documents d’archives. De nouveau, les questions seront décomposées en trois principaux champs. Le premier nous renseignera sur l’atelier et sur l’emploi éventuel d’un cuir de conservation. Le second portera sur des pratiques de modification du cuir employé, pratiques qui peuvent avoir une incidence sur les propriétés du matériau, à court, moyen et long terme, enfin, le dernier champ déterminera si l’atelier et/ou le restaurateur concernés rencontrent des problèmes avec les cuirs produits durant ces cinquante dernières années.

 

En parallèle et à l’issue des résultats obtenus grâce à ces questionnaire, un protocole d’analyse sera établi et mis en œuvre sur les cuirs sélectionnés afin de vérifier qu'ils correspondent bien aux critères préétablis2 . Différentes analyses et tests seront effectués. La micro analyse X permettra de déceler la présence de minéraux (chrome, titane…) et ainsi de s’assurer d’être en présence d’un tannage végétal uniquement. Suivront des tests mécaniques de déchirure. Ceux-ci, spécifiés dans le rapport « Environment » pourront orienter le cuir testé vers d’autres analyses ou permettre de décider de son abandon si sa résistance est trop faible..

Ensuite, la prise de pH et le calcul de l’indice de différence, destinés a établir la présence d’acide fort dans un cuir, aideront à postuler sur sa conservation. De même, la DSC (calorimétrie différentielle à balayage) qui donne la température de dénaturation du collagène donne une réponse immédiate sur la résistance d’un cuir et aide aussi à postuler sur une bonne conservation à moyen et à long termes.

Enfin, les analyses d’HPLC (chromatographie en phase liquide), seront mises en œuvre, afin d’identifier les tanins hydrolysables et les tanins condensés. Il faut noter que la présence de tanins condensé dans un cuir est très défavorable à sa bonne conservation.

 

La dernière étape, prévue pour 2005 sera l'établissement d'un protocole de contrôle qualité destiné à s’assurer régulièrement des propriétés des cuirs achetés.

 

Grâce à ce projet la BnF s’assurerait d’un respect plus important vis à vis de son patrimoine relié et effectuerait une économie considérable à moyen et long terme. En effet, comme nous l’avons précédemment signalé, la durabilité des cuirs actuels est faible et induit une répétition de traitements qui pourrait être évitée par l’emploi d’un cuir de conservation.

Au delà de la prise en charge de ses propres collections, la BnF pourrait aussi, grâce à ce projet, participer à la protection du patrimoine livresque français et international. Soulignons que le Conseil International des Musées (ICOM), via son « groupe cuir » a considéré cette problématique comme prioritaire.

 

Thierry Aubry, chef de l’atelier de Restauration du CTBnF

 

 

1- STEP LEATHER PROJECT (1991-1994) - Programme européen “Protection and Conservation of European Cultural Heritage”
"Evaluation of the correlation between natural and artificial ageing of vegetable tanned leather and determination of parameters for standardization of an artificial ageing method",
ENVIRONMENT LEATHER PROJECT (1995-1999) – Programme européen “protection and Conservation of European Cultural Heritage”
"Deterioration and conservation of vegetable tanned leather"
2 - Ces critères sont notamment issus des projets européens mentionnés précedemment