Plan d'urgence

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Préconférence de la section "conservation" :
les plans d'urgence - IFLA 2003

Preparing for the Worst, Planning for the Best : Protecting our Cultural Heritage from Disaster : compte-rendu de la préconférence

in Actualités de la conservation , n° 20

Du 30 juillet au 1er août 2003, une préconférence au congrès de l'IFLA s'est tenu à Berlin sur le thème du plan d'urgence en cas de sinistre. Cette manifestation a été organisée par la section Conservation de l'IFLA en coopération avec le Comité international du Bouclier Bleu, avec l'aide logistique de la Bibliothèque d'Etat-Berlin.

 

La préconférence a regroupé 90 participants et 12 intervenants de toutes les régions du monde, ce qui a constitué l'un des points les plus positifs de la réunion ; le survol mondial des différents types de catastrophes, qu'elles soient naturelles ou provoquées par l'homme, et les expériences vécues et relatées devant l'assistance ont permis non seulement de sensibiliser les professionnels de la conservation des biens culturels à la nécessité d'élaborer un plan d'urgence en cas de sinistre pour leur établissement, mais leur ont aussi fourni une information approfondie sur la prévention des risques et l'organisation des opérations a posteriori.

 

Après une introduction de John Mac Illwaine, responsable de la section Conservation-IFLA dont le mandat s'achève cette année et de Nancy Gwinn, qui lui succède à cette fonction, Marie-Thérèse Varlamoff a rappelé le programme des formations et des séminaires ayant eu lieu ou à venir sur le thème du plan d'urgence et organisés par l'IFLA-PAC dans les diverses parties du monde.

 

Le programme de la préconférence a commencé par les politiques nationales dans diverses parties du monde : États-Unis, Brésil et Pays-Bas.

 

Aux États-Unis, le Heritage National Task Force dirigé par l'Heritage Preservation et la Federal Emergency Management Agency (FEMA) a été créé en 1995 par un partenariat de 35 associations non-gouvernementales et d'agences gouvernementales américaines. Le Heritage National Task Force a pour mission d'aider les bibliothèques, les archives et les musées à préparer leur plan d'urgence et à programmer les interventions. Ils fournissent information, formation et assistance par des experts, assure la promotion du plan d'urgence comme une priorité des établissements culturels et diffusent une information en direction du public. L'Heritage Preservation a produit un rapport sur l'impact du 11 septembre 2001 (Cataclysm and Challenge) et en a tiré des leçons : avoir un plan d'urgence doit constituer une priorité et sa pratique doit être régulière pour qu'il soit efficace.
(pour plus d'information, voir le site :
www.heritagepreservation.org )

 

Au Brésil, une évaluation de la conservation des collections patrimoniales a été conduite et les résultats ont été présentés à l'assemblée générale d'ABINIA (Association des Etats d'Amérique Latine pour le développement des Bibliothèques Nationales d'Amérique Latine) en octobre 2000. Ces résultats montrent que le fléau majeur des bibliothèques est la contamination biologique en raison du climat tropical, dans certaines régions. 70% des bibliothèques qui ont répondu au questionnaire assurent une surveillance des conditions climatiques mais ne sont pas climatisées. Les autres risques concernent l'électricité (bâtiments anciens), les attaques d'insectes (30%), le rangement et le stockage des collections, ... 30% ont un plan d'urgence, mais sur ces 30%, 40% savent que leur plan est obsolète. En 2002, à l'assemblée générale d'ABINIA, il a été décidé de d'établir un second centre IFLA-PAC dans cette région du monde, d'organiser des formations en 2003 et 2004, et de créer des comités nationaux du Bouclier Bleu. Enfin, ABINIA avait rédigé un plan national de préservation des œuvres rares en 1982 ayant pour but d'identifier et de conserver les collections anciennes. Ce plan a été adapté et a servi de modèle pour rédiger un plan régional de prévention des désastres. Celui-ci servira de base aux bibliothèques pour qu'elles rédigent le leur. En 1982 aussi, la BN du Brésil a créé un comité pour la prévention des incendies, qui a été réactivé en 2002.

 

Aux Pays-Bas, l'Institute for Cultural Heritage (ICN) a été chargé de promouvoir la création de plans d'urgence et d'aider les établissements culturels à les réaliser, en se basant sur l'échange d'expériences entre professionnels et le conseil. Un modèle de base a été conçu par ICN, qui a travaillé en réseau avec de nombreux partenaires des musées, des bibliothèques et des archives, ainsi que des pompiers, de la police et des partenaires fournissant une autre assistance professionnelle pour mener son projet à bien. L'évaluation de la situation aux Pays-Bas a montré qu'à part la Bibliothèque nationale, tous les établissements culturels sont situés à proximité d'un fleuve, de la mer, etc. La seconde conclusion de cette évaluation était la suivante : "les plans d'urgence sont toujours presque prêts". Un congrès est organisé à l'automne pour faire le bilan des 3 ans du projet : 19 plans d'urgence ont été créés, un manuel sur le thème "comment rédiger un plan d'urgence" a été édité ainsi qu'un plan d'urgence modèle d'une institution imaginaire. Cette approche régionale de la prévention a par ailleurs permis de fonder un réseau régional de sauvetage autour de La Haye, ce qui est sans doute le point le plus positif de la démarche. Celle-ci a engendré un intérêt dans les autres régions des Pays-Bas, et devrait être ainsi reproduite dans le pays.

 

À l'échelle mondiale, le Bouclier Bleu, formé à l'initiative des quatre organisations non-gouvernementales représentant les institutions culturelles des bibliothèques (IFLA), des musées (ICOM), des archives (ICA) et des monuments historiques et des sites (ICOMOS) en 1996, a l'ambition de devenir l'équivalent culturel de Médecins sans Frontières. Ross Shimmon, président du Comité international du Bouclier Bleu (ICBS) et secrétaire général de l'IFLA, a présenté le travail des quatre années d'existence de l'ICBS. Au sein du comité siègent aussi des représentants de l'UNESCO, de l'ICCROM, de la Croix Rouge dont l'expérience est utile. Le comité se réunit 3 ou 4 fois par an, en général à Paris. La dernière réunion a eu lieu en février 2003 avec un ordre du jour chargé concernant les inondations de Prague, la guerre en Irak et les conflits au Moyen-Orient. Une mission a été dépêchée en Irak par l'Unesco à la demande du comité pour évaluer l'état des institutions culturelles du pays (pour les bibliothèques, Jean-Marie Arnoult a présenté son rapport au cours du congrès de l'IFLA). A l'actif aussi de l'ICBS, dix comités nationaux du Bouclier Bleu ont été créés. Un fonds d'intervention d'urgence va être réuni pour porter secours rapidement aux institutions culturelles subissant un désastre. Enfin, l'ICBS a été reconnu comme une instance de conseil en cas de conflit dans le Second Protocole de la convention de La Haye, qui a pour but de faire reconnaître la notion de "crime de guerre culturel".

 

La troisième partie de la préconférence abordait l'élaboration du plan d'urgence par les institutions culturelles et les questions de méthodes.

 

La prévention aux tremblements de terre en Turquie est une priorité dans la mesure où 96% du pays est classée en zone à risque plus ou moins dangereuse. Quatre musées d'Istambul ont donc décidé de travailler ensemble pour protéger leurs collections, en coopération avec le Getty Museum. Des solutions simples et peu coûteuses ont été mises en œuvre pour le rangement des collections : conditionnement des objets fragiles comme les poteries par exemple, ou protection des porcelaines avec de la mousse, fixation des rayonnages aux murs, protection des collections fragiles par un grillage enroulé autour des rayonnages. La formation du personnel à l'évacuation, la coopération avec des ingénieurs pour la construction des bâtiments, et un travail plus particulier sur la fixation des objets exposés ont constitués d'autres axes de ce plan de prévention.

Une intervention a permis de faire le point sur la recherche et la littérature sur le sujet, pour en tirer quelques conclusions générales concernant les facteurs qui rendent un plan d'urgence efficace, et les forces et faiblesses dans le domaine.

 

Un professeur suèdois, Maj Klasson, a abordé l'aspect de la gestion psychologique des personnels suite à un projet de recherche sur les conséquences des incendies de bibliothèque. Ce projet de recherche lui a permis de collecter des informations et de la documentation pendant la période 1996-2003. Une étude de cas a été présentée, comprenant les différentes phases psychologiques par lesquels les personnels sont passés avant d'être tout-à-fait "guéris" de l'incendie et du traumatisme qu'il a provoqué : phase introductive, phase factuelle, phase de réflexion, phase de réaction, phase symptômatique, phase d'apprentissage, phase de réorientation. Elle a mis en évidence dans son intervention qu'on ne pensait pas à gérer les personnels sur le plan psychologique durant ou après un désastre, mais que la nécessité de le faire finissait par s'imposer tôt ou tard : il valait donc mieux être averti et prendre en compte cet aspect dès le début pour mieux le gérer. Le debriefing régulier entre professionnels est apparu comme une méthode de gestion pour aider les agents à exprimer leur expérience, de façon à en faire l'analyse, et d'arriver aux phases de reconstruction du futur plus aisément. Le processus de guérison est long, et toutes les étapes psychologiques doivent être franchies pour que la guérison soit accomplie. Des aspects positifs et négatifs des différentes expériences peuvent conclure ce chapitre : il faut bien sûr faire attention à la transmission des informations entre collègues, à la formation des agents sur le plan d'urgence, mais aussi après le désastre, assurer un traitement individuel des cas les plus vulnérables, organiser des réunions d'information avec un accueil chaleureux (café...), avoir un groupe de soutien (qui reste à sa place et ne prenne pas en main les opérations, ce qui est facteur de confusion ; il faut bien déterminer les responsabilités et "qui fait quoi"), relayer la diffusion de l'information par des media locaux, mais ne pas se laisser envahir par eux, nouer des liens avec les experts de la Bibliothèque nationale du pays, avoir un plan d'urgence pour les collections qui intègre la gestion des personnels pour prévenir le sinistre, mais aussi pour programmer les opérations après la catastrophe.

 

Cette intervention a fait le lien avec quatre études de sinistres différents, où l'on a pu se rendre compte des limites des réactions en l'absence de plans d'urgence.

 

La Bibliothèque centrale et régionale de Berlin a vécu de nombreux "petits sinistres" dus à des ruptures de canalisations dans ses bâtiments anciens. Un plan d'urgence a été mis sur pied et l'habitude d'y travailler a été intégrée dans les tâches quotidiennes, ce qui aide les personnels à demeurer vigilants et à réagir rapidement selon les consignes.

 

La Bibliothèque nationale de la République tchèque, durement frappée par les inondations de l'hiver dernier, rencontre de nombreuses difficultés aujourd'hui à restaurer ses collections inondées qui ont été congelées très rapidement au cours de l'opération de sauvetage. L'exposé des faits par Jiri Vnoucek, directeur du département Conservation et son appel à une aide matérielle et financière ont confirmé le fait qu'un fonds international serait très utile dans ce type de situation. L'autre point marquant a été l'absence de communication au début des opérations de sauvetage, dans la mesure où l'électricité était coupée : aucun moyen donc de répondre aux propositions d'aide extérieures. Une des premières réactions est donc de rétablir un poste de communication. Les premiers sauvetages ont pu être menés grâce à la population locale, en nombre suffisant.

 

Le troisième cas concernait les bibliothèques vietnamiennes et en particulier celle de l'Institut des études d'Han-Nom. Le Viet-Nam est très exposé aux catastrophes naturelles, car c'est un pays en zone tropicale. Pourtant, ce sont les conflits armés qui ont fourni le risque de destruction le plus important, car au cours de l'histoire du Viet-Nam, le pays a été envahi à plusieurs reprises. Dans ces conditions extrêmes, les bibliothécaires ont développé une rapidité de réaction sans aucun plan d'urgence écrit. L'unique intervention était donc de mettre à l'abri les collections précieuses d'Han-Nom en les déménageant, parfois sur de très longues distances. La période la plus dure a été le XXème siècle, avec la guerre contre la France de 1945 à 1954, puis celle contre les Etats-Unis de 1954 à 1975, puis l'invasion par la Chine en 1979. Au cours de l'histoire, les déménagements se sont modernisés : à la dernière invasion en 1979, les collections ont été déménagées par camions dans des boîtes métalliques.

 

Le quatrième cas portait sur les ouragans en Jamaïque, des tornades de 118km/h imprévisibles qui ravagent les terres de juin à novembre chaque année. L'exemple de Gilbert, qui a dévasté la Jamaïque pendant dix jours en 1988, a permis de tirer quelques conclusions : les problèmes spécifiques de ce type de catastrophes sont la pluie et le paysage de désolation laissé par la tornade, pour l'effet psychologique qu'il produit sur les personnes. Les opérations de sauvetage sont toujours reportées car il n'y a plus alors de moyens de communication ; les personnels sont préoccupés pour leur survie et celle de leurs proches, et la pluie continue de tomber pendant plusieurs jours après le passage de l'ouragan. En 1988, après le passage de Gilbert, il a fallu attendre une semaine avant d'avoir les moyens d'intervenir. Plus d'électricité signifiait aussi aucun moyen de congélation, ni air conditionné ; les développements de moisissures ont dégradé irrémédiablement 150 000 journaux et documents. Le dépôt d'archives n'avait pas de plan d'urgence, mais des volets protégeaient les fenêtres. Malgré les précautions prises, le bâtiment a perdu sa toiture. Les leçons tirés de cette expérience ont été les suivantes : être préparé est toujours mieux, mais il faut prévoir des solutions annexes si les premières mesures de prévention ne sont pas efficaces. L'autre enseignement de Gilbert a porté sur la gestion des contaminations et le contrôle de l'environnement, sur le séchage des documents. Dans ces situations particulières, les décisions doivent être prises rapidement, en raison du risque supplémentaire créé par les facteurs chaleur et humidité conjugués. Les Archives de la Jamaïque ont eu par ailleurs des difficultés à trouver du conseil et de l'aide : peu de conservateurs sont formés à ces questions dans les Caraïbes.

 

La cinquième partie de la préconférence a porté sur l'évaluation des risques.

Une méthode appliquée aux collections du Musée Canadien de la Nature a été présentée. A la suite de la première évaluation, un bâtiment neuf fut construit pour abriter les collections. Cinq ans plus tard, une seconde évaluation des risques employant la même méthode a permis de faire la démonstration de la disparition de nombreux risques, et de la réduction de l'impact d'autres risques potentiels. Ce travail a permis en outre une évaluation de l'état des collections pour mettre en place un programme de préservation des collections.

 

La seconde intervention sur le sujet a décrit le cas de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas qui a eu recours à un consultant pour l'aider à rédiger son plan d'urgence, en intégrant la composante de l'analyse de l'organigramme de la bibliothèque et de son fonctionnement courant. Il existe deux plans d'urgence, l'un pour l'établissement, l'autre pour les collections. Le travail sur la rédaction et l'analyse des procédures d'urgence ont montré les faiblesses de la bibliothèque en terme de management et ont permis de proposer des solutions, ce qui diminue le risque. La Conclusion était la suivante : "the more you are prepared, the most you save".

 

Enfin, trois interventions pratiques sur la restauration des documents après un sinistre ont achevé l'étude du thème. Une première intervention sur la comparaison des méthodes de séchage de masses de documents a permis de connaître quel procédé (séchage à l'air ambiant, même type de séchage avec déshumidificateur, séchage par lyophilisation) convenait à quelle collection et avec quels moyens financiers, techniques et humains. Tout cela doit être inclus dans le plan d'urgence, de façon précise, car la terminologie dans ce domaine n'est pas évidente aux bibliothécaires comme aux entreprises spécialisées. Quelques conseils utiles pour éviter de perdre du temps lors du traitement des collections a posteriori ont permis d'attirer l'attention sur l'identification des documents et les informations bibliographiques, l'ordre des documents dans les caisses, etc.

Une seconde intervention sur les collections photographiques et une troisième sur les collections audiovisuelles ont permis d'obtenir une information détaillée sur les méthodes de séchage de ces collections particulières et sur l'organisation des opérations de restauration.

 

Christelle Quillet, Directrice du CTBnF

 

Le dossier est disponible au centre de documentation du Centre technique. Il comprend la liste des participants avec le programme détaillé, une bibliographie sur le thème du plan d'urgence et les sites web ressources. Il comprend également les photocopies des powerpoint des intervenants.
Les actes de la préconférence seront publiés en 2004.