Restauration

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Restauration du Ta Kung Pao,
périodique chinois du début du siècle

in Actualités de la conservation , n° 18, août 2002

En octobre 2001, le Département droit, économie et politique a confié au Centre Technique de Bussy Saint-Georges la restauration d'un journal chinois, intitulé "Ta Kung Pao", couvrant la période de l928 à 1958 et représentant environ 10 000 feuillets. Les numéros des premières années de la collection de "Ta Kung Pao" conservée à la Bibliothèque nationale de France ont fait l'objet en 1999 d'une demande de communication exceptionnelle de la part d'un lecteur, mais la consultation avait été refusée en raison du mauvais état de conservation des fascicules demandés. Dès lors des recherches ont été entreprises pour trouver un autre exemplaire mais il n'a pas été possible de localiser en Europe une collection aussi complète que celle qui était conservée à la Bibliothèque nationale de France. Une recherche dans KVK, Karlsruher Virtueller Katalog, service permettant l'interrogation simultanée de plusieurs catalogues de bibliothèques ou catalogues collectifs européens ainsi que du catalogue de la Bibliothèque du Congrès (accès à plus de 75 millions de notices de documents) ne permet de localiser que quelques fascicules publiés en 1938-1939 conservés à la Bibliothèque universitaire d'Oslo et une collection à la Bibliothèque du Congrès, outre la collection de la BnF.

 

L' état de dégradation extrêmement avancé de cette collection ainsi que sa rareté sur le plan européen ont donc motivé un traitement de conservation plutôt qu’un microfilmage.

 

Les analyses chimiques du papier et de l’encollage effectuées par le laboratoire du Centre Technique, l’observation de la nature du support et le conditionnement avant traitement ont permis de déterminer les principaux facteurs de dégradation. Les tests d’identification des fibres par coloration (utilisant les colorants Hertzberg et Lofton Meritt.)ont démontré que le papier est constitué d’une pâte de bois (résineux) mi-mécanique, mi-chimique. De ce type de pâte, pauvre en cellulose, résulte une solidarité fibreuse réduite induisant une faible résistance mécanique du papier. De plus, la présence de lignine (la lignine contrairement aux fibres de cellulose fait office de ciment : le papier à base de pâte de bois est donc rigide, cassant.) dans la pâte de bois, qui réagit fortement aux rayonnements ultraviolets, provoque un jaunissement du papier et en réduit également la résistance.

 

Les spot-tests (spot-tests : Test à la ninhydride (décèle un encollage protéinique), test à l’iode (décèle un encollage végétal, gomme ou amidon), test de Lassaigne (décèle un encollage à la gélatine).) effectués ont révélé l’utilisation de colle à base de colophane acide (l’alun utilisé pour précipiter ce type d’encollage peut réagir en présence d’eau et former de l’acide sulfurique.). L’acidité des documents (pH de 2 à 5,18) conjuguée à la nature des fibres et au mauvais conditionnement des journaux pliés en quatre dans des boîtes posées débout, a donné un résultat éloquent : friabilité, aucune résistance au pliage, fort jaunissement du papier.

 

Leur conditionnement avait provoqué des cassures à l’endroit des plis. Les documents présentaient de nombreuses lacunes de très petites dimensions (quelques millimètres carrés) ou bien de surface importante (absence de fond ou de quart de feuillet). D’autre part, certains numéros avaient subi des interventions malencontreuses : rognage des fonds de cahiers, réunion des folios par dizaines au moyen de mousseline, kraft collant et rubans adhésifs en couches superposées.

 

Dans un premier temps, les documents ont été gommés et dépoussiérés. Ils ont ensuite été lavés dans un à trois bains (en fonction de la rapidité de dissolution des produits de dégradation) de 10 à 20 minutes dans une eau à 25°c . Le lavage permet d’éliminer une partie de l’acidité et d’améliorer l’état du papier du point de vue de sa résistance mécanique (reconstitution des ponts hydrogènes rompus). Grâce au nettoyage aqueux, le pH du papier d’un feuillet est par exemple passé de 3,50 à 6,72. Cependant, un simple lavage s’est révélé insuffisant (un simple lavage ne permet pas d’arrêter le processus d’acidification et n’incorpore aucune réserve alcaline au document.). C’est pourquoi les documents ont été désacidifiés de manière quasi-systématique (immersion de séries d’environ 10 feuillets dans une solution d’hydroxyde de calcium (33,5g/40 litres d’eau).). Ils ont ainsi retrouvé un pH satisfaisant allant de 7 à 8,2.

 

Les feuillets désacidifiés ont été colmatés soit par colmatage manuel sur table aspirante pour les lacunes de petites surfaces, soit par colmatage individuel pour lequel on utilise une colmateuse individuelle : le document à restaurer est déposé sur le tamis de la cuve mobile placée dans le bac principal de la colmateuse puis il est immergé. La pâte (les pâtes utilisées pour le comblage sont composées de 50% de fibres de résineux, 50% de fibres d’eucalyptus, teinture Clariant pour la mise au ton, tylose MH 300 (pour le comblage manuel).) à papier est diluée dans 70 litres d’eau contenus dans un bac attenant dans lequel des pompes vont transvaser l’eau et la suspension fibreuse jusqu’à la cuve mobile. On remonte celle-ci par un système de vérin pneumatique, ce qui produit un phénomène de succion grâce auquel les fibres se déposent sur les parties lacunaires. Cette technique assure une très bonne cohésion des fibres et permet une répartition très régulière de la pâte sur les grandes surfaces (lire au sujet de la colmateuse individuelle : D. Bardoz, M Gacquière, T. P. Nguyen, S. Bouvet, « Le colmatage des documents acides : étude de la tenue des greffes » in : La conservation à l’ère du numérique, actes des quatrièmes journées internationales d’études de l’Arsag, Paris, du 27 au 30 mai 2002.). La mise en œuvre du colmatage individuel est relativement longue ; de plus, comme la plupart des lacunes étaient de petites dimensions, le comblage manuel sur table aspirante a été privilégié pour la majorité des documents.

 

Les documents étant extrêmement dégradés, les traitements effectués jusqu’ici devaient être complétés par un renforcement mécanique par doublage (Le doublage a été effectué avec du chanvre de Manille (Lens tissue) encollé à la tylose MH 300 (20g/litre). Il faut noter qu’une désacidification provoque très souvent une fragilisation mécanique du document qui nécessite ensuite un renforcement de type doublage.) de manière à répondre à une consultation dans des conditions rassurantes. Cette dernière devra néanmoins être limitée compte tenu d’un état physique qui n’autorise pas de manipulation intensive malgré le traitement.

 

Etant donné la fragilité des documents même après restauration et sachant que ceux-ci sont conditionnés dans des boîtes parfois stockées debout, source de nouvelles dégradations, nous nous sommes penchés sur la question de la conservation de ce fonds. Des conditions de stockage adaptées à la nature et au format des supports participent d’une politique de conservation préventive efficace, c’est-à-dire bénéfique sur le long terme et par le fait, plus économique qu’un traitement. Après avoir abordé le sujet avec Madame Formont, conservateur au service Presse, il a été envisagé que les rayonnages soient modifiés afin que le boîtes contenant les documents ne soient plus positionnées debout mais à plat ou le cas échéant, qu’ils soient maintenus serrés entre des cartes, debout dans leur boîtes.

Les traitements des journaux ont été établis en fonction de critères de conservation (permanence des matériaux, réversibilité des interventions, lisibilité des documents). Cependant, le nombre considérable de documents à restaurer nous a imposé d’établir une mise en œuvre efficace (rapidité d’exécution concernant le choix de la colle et des traitements) et de sélectionner les matériaux également en fonction de leur coût.

 

Ce travail correspond à la production d’un atelier de cinq personnes à temps plein durant une année. De ce fait, différentes questions, récurrentes sur le plan de la conservation, ont été soulevées liées d’une part à la quantité importante de ce type de documents conservés à la BnF et d’autre part à leur changement de statut après restauration (accessibilité à la consultation). Aussi, compléter la restauration par un microfilmage ne garantirait-il pas davantage la pérennité du support original ? Solution avantageuse, généralement retenue pour la presse du XIXème siècle dont l’intérêt réside surtout dans son caractère informatif et non dans sa présentation, le microfilmage offre la possibilité d’une mise à disposition plus aisée, y compris pour des prêts ou acquisitions internationales ainsi qu’une reproduction par photocopie ou par numérisation en évitant la manipulation des originaux. De même, renseigner les lecteurs sur les faiblesses de certains types de support et les informer de l’importance d’une manipulation adéquate pourrait constituer également une sécurité sur le moyen et long terme.

 

Christine Chastel, DSR/DSC/CTBnF