Plan d'urgence

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"Au péril de l'eau : la conservation
préventive et les risques d'inondations"

Journées - débats organisées par le DESS de conservation préventive
Université Paris I, Musée des arts et des traditions populaires, 11 - 12 avril 2002

in Actualités de la conservation, n° 17, mai-août 2002

Sommaire
Introduction
L’approche des historiens et archéologues
Études menées par des ingénieurs sur les risques d’inondation
Implications dans les établissements à caractère patrimonial

Introduction

Janvier 2003 : une menace de crue décennale est annoncée. L’alerte est donnée le 21 janvier. Une cellule de crise est mise en place à la préfecture de Paris. 48 heures plus tard, Paris est sous sept mètres d’eau. Les hôpitaux sont évacués avec l’aide de l’armée. L’électricité est coupée, les réseaux de transport paralysés. Les plus grands établissements patrimoniaux de la nation, situés sur l’axe de la Seine, sont gravement touchés. Les réserves souterraines du Louvre et d’Orsay (jusqu’à 25 mètres sous le sol) sont sinistrées ; on pompe désespérément à la BnF…

 

Résultat : des milliards de dégâts matériels, une longue paralysie économique, des pertes et dégradations incalculables dans les collections patrimoniales…

 

Ce scénario-catastrophe, esquissé de façon éloquente et parfois lyrique par Denis Guillemard (maître de conférence, université de Paris I), montre de façon saisissante l’ampleur des dégâts envisageables et le manque de préparation et de réaction de l’Etat et des établissement patrimoniaux. L’évidence du risque est telle qu’il en devient invisible. Deux nouveaux établissements patrimoniaux majeurs implantés à Paris en zone à risques nous le prouvent.

 

Les débats entre participants et les autres conférences complètent le tableau : les institutions patrimoniales se soucient certes de cette question et tentent plus ou moins de s’y préparer (réunions à la DMF, contacts avec la préfecture, plan d’urgence à la BnF, formation d’un nouveau groupe de réflexion sur les inondations au sein du Bouclier bleu…). Mais, sachant que le niveau d’alerte n’est effectif que 48 à 72 heures avant la crue, la quantité d’objets concernés met en évidence une impossibilité d’évacuer dans un si court laps de temps. Se pose alors la question de la responsabilité que représente la décision de tenter d’évacuer (pour où ?) une masse énorme de biens culturels une dizaine de jours avant une crue supposée, pour une catastrophe dont il n’est pas sûr qu’elle se produise.

 

Ils mettent également bien en évidence le fait que les biens culturels ne sont pas prioritaires dans les plans publics de crise. En effet, les autorités préfectorales parisiennes ont situé ces institutions en quatorzième position pour les secours en cas de crue (selon témoignage de collègues de la DMF). Or, on estime que les forces armées ne pourraient répondre qu’aux six premières priorités d’action (évidemment hôpitaux etc…).

 

En outre, il faut envisager les risques de vol dans les établissements culturels, les installations d’alarme fonctionnant sur réseau d’électricité risquant d’être coupées.

 

Outre l’intervention de D. Guillemard intitulée " Le patrimoine serait-il insoluble ? ", qui a tout de suite mis l’auditeur " dans le bain ", se sont succédé des conférenciers issus de spécialités très diverses. On peut tenter de distribuer leurs contributions en trois thèmes, reflétant trois grands groupes de disciplines.

 

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L’approche des historiens et archéologues

Des réflexions d’ordre socio-historico-philosophique

  • Quand l’eau est l’alliée de la conservation !

En introduction, Michel Colardelle, archéologue et directeur du Musée national des ATP, établissement accueillant le colloque, a pris le contre-pied du sujet général en rappelant les mérites de l’eau comme milieu de conservation à travers l’exemple des fouilles lacustres (objets en matière organique, en métal) et en évoquant les traitements post-fouilles (chambre froide et lyophilisation ; imprégnations au PEG et radiations gamma…)

 

Dans le même esprit, et du point de vue cette fois de l’historien et de l’urbaniste, les inondations et leurs conséquences peuvent être plus constructrices que destructrices pour la cité et ses territoires. Les ouvrages de protection contre les crues (ponts, quais, canaux) structurent l’espace urbain et enrichissent le patrimoine architectural (Denis Cœur, chercheur, université de Grenoble 2).

  • La culture du risque 

Appuyée sur une approche d’historien prenant pour objet d’étude les sociétés face aux risques d’avalanches, Anne-Marie Granet-Abisset (Université de Grenoble 2) a évoqué la notion de " mémoire du risque " dans les sociétés : savoirs des sociétés traditionnelles, appropriation scientifique et technique par les administrations des risques et en même temps des territoires, et complémentarité peu exploitée de ces deux " cultures du risque ".

 

L’intervenante a souligné l’attente sécuritaire de nos sociétés qui va de pair avec une tendance à se décharger de toute responsabilité sur des spécialistes. En témoigne la mode de la notion de " risque zéro ".

 

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Études menées par des ingénieurs sur les risques d’inondation

Enjeux et prévention à des niveaux nationaux et régionaux

 

  • La prévention des risques…

Après avoir mis en évidence les enjeux de cette prévention, à partir de chiffres récents (un coût annuel de 600 millions d’euros [4 milliards de francs], 2 millions de personnes touchées, près de 200 victimes de 1980 à 2000), l’intervenant (Michel Lang, Cemagref, groupement de Lyon) fait un rappel de la nature cyclique du phénomène et de sa gestion, qui ne se fait pas sur le long terme : lors d’une inondation catastrophique, il y a une mobilisation et des demandes d’intervention, puis une période de réparation des dégâts, de constructions " défensives " et d’indemnisation pour dégâts. Puis suit une phase d’oubli qui amène des reconstructions de bâtiments en zones sensibles et un moindre entretien des structures protectrices, jusqu’à un nouvel épisode de catastrophe.

 

Les mesures de protection (bassin de stockage, endiguement…) ont des limites (efficaces pour des crues petites ou moyennes, mais dépassées lors de flux de plus grande importance), voire des effets pervers (une inondation devient forte et brutale quand elle dépasse le niveau d’une digue). Elles nécessitent un raisonnement global, en soupesant les conséquences de travaux en amont sur l’aval.

 

Des outils réglementaires existent : différents types de plans : PER (plan d’exposition aux risques), PPR (plan de prévention des risques)… assortis de cartes des crues, de cartes des enjeux ; SDACR (schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques) ; mise en place d’une échelle d’intensité pour les inondations réparties en quatre classes… Et la comparaison avec les informations historiques présente un grand intérêt pour les projections servant de base aux calculs pour les ouvrages d’endiguement.

 

En conclusion, on a gagné en efficacité en temps réel (progrès de la météorologie et logistique des secours) mais gagné aussi en vulnérabilité aux inondations (phénomène général, mondial, touchant populations et activités économiques).

  • …et leurs enjeux socio-économiques

Anne Guillon (chef du service des risques naturels, de l’hydrométrie et de l’annonce des crues, Direction régionale de l’environnement d’Ile-de-France) a présenté les études prospectives menées pour tenter de chiffrer l’impact d’une crue majeure en Ile-de-France, du type de celle de 1910 (travail par modélisation, avec plusieurs scénarios suivant les moyens de prévention mis en œuvre). Des perspectives fort inquiétantes s’en dégagent.

 

Sous la cote d’alerte, située à 3,20 mètres, il n’y aurait pas de dommages à Paris. A partir de 7 mètres, les réseaux d’assainissement seraient saturés, et on risque d’énormes dégâts et une longue paralysie des activités. On estime par exemple que les réparations du réseau RATP prendraient quatre ans.

 

Des groupes de travail ont été créés au vu de ces perspectives. A ce jour, seule la RATP a réalisé un plan de secours solide, prévoyant un laps de temps de trois jours pour mettre en place toutes les protections prévues.

 

En ce qui concerne la BnF, les informations que l’on peut tirer de cette intéressante intervention sont notamment que les bâtiments parisiens de notre établissement sont situés dans des zones éminemment inondables ; que, comme le souligne Jean-Pierre Roze dans sa remarque lors des débats, les pompes seraient sans grande utilité en cas de crue importante (environ 7 mètres), d’une part parce que l’électricité serait coupée, d’autre part parce que l’eau pompée ne pourrait être évacuée par les réseaux d’assainissement, eux-mêmes saturés. Le bâtiment de Tolbiac serait de plus menacé non seulement par l’inondation en surface, mais également par une imprégnation du caisson par remontées d’eaux.

 

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Implications dans les établissements à caractère patrimonial

Point de vue des conservateurs et des conservateurs-restaurateurs

 

  • à l’échelle nationale

Signalons juste la création d’un groupe de travail " inondations " au sein de la récente section française du Bouclier bleu.

  • à l’échelle d’une région

Un inventaire du patrimoine inondable du bassin de la Loire a été projeté, dans le cadre d’un partenariat DRAC/Etablissement public d’aménagement Loire (présenté par Marc Botlan, conservateur général des Monument historiques, et Francis Deguilly, conservateur en chef des bibliothèques, chargé du volet culturel du plan Loire). La méthode employée correspond à une superposition de cartes montrant l’étendue de crues potentielles et de cartes des emplacements de biens culturels. Après les monuments et objets inscrits et classés, les archives, bibliothèques et musées seront inclus, ainsi que le patrimoine archéologique et naturel.

 

Les réalisations dans le cadre de ce projet naissant seraient : une fiche par objet et monument indiquant les mesures de protection à prendre en cas d’alerte ; une information individuelle des propriétaires et des autorités locales, un document de préconisations générales pour le public.

  • à l’échelle d’institutions patrimoniales

On a pu d’une part recueillir des informations techniques sur les Inondations et les moyens de détection dans les bâtiments, en prévention des petits risques, grâce à Alain Soret et Serge Leroux, techniciens, Direction des musées de France, département de l’architecture.

 

Avant la mise en place de moyens de détection, il est nécessaire de classifier les risques en identifiant les réseaux d’eau (risques mineurs et moyens pour des réseaux en circuit fermé, risques majeurs pour réseaux dans les niveaux en sous-œuvre et les réseaux à pression venant d’un réseau urbain).

 

Les actions préventives correspondent à un repérage des points critiques (robinet à fermer…), un aménagement préventif (feuilles de plomb sur la surface de zones sanitaires avec implantation d’un détecteur de fuite, engendrant une coupure d’eau…), des contrats d’entretien et un contrôle régulier des équipements techniques.

 

Enfin, pour compléter ces mesures, on recommande chaudement l’implantation de systèmes de détection d’eau, simples, fiables et peu coûteux (or, peu d’établissements patrimoniaux en sont équipés : citons le musée Guimet, le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie, le Grand Palais, le Louvre). Différents modèles existent, tous composés de quatre éléments : capteurs (ponctuels ou linéaires), transmission (filaire ou radio), centralisation, report à distance.

 

Complétant ces données techniques, signalons une autre contribution décrivant les différents système manuels et automatiques d’extinction des incendies (Eléonore Kissel, conservateur-restaurateur). Etudes statistiques à l’appui, concernant bibliothèques, archives et musées sinistrés, il nous est rappelé que l’eau, contrairement au feu, constitue rarement un facteur de destruction totale des objets et que de fait, on ne peut se priver d’un système d’alarme et d’extinction des incendies.

  • D’autre part, deux études de cas ont été présentées, évoquant des expériences dans le cadre des bibliothèques et d’un musée.

Marie-Dominique Parchas, conservateur-restaurateur, responsable du service de restauration et de conservation préventive, a relaté son expérience au Musée national des Arts et Traditions populaires. Elle a donné un aperçu des interventions sur des sinistres récurrents dans un bâtiment assez récent (1970), montrant l’absence de prise en compte dans la programmation des considérations les plus élémentaires de prévention des risques. L’enregistrement sous forme de fiches d’incident permet de conserver la mémoire des événements.

 

Terminons enfin par le thème de la planification d’urgence dans les bibliothèques, abordé par Jean-Pierre Roze, conservateur en chef, chargé de mission à la Bibliothèque nationale de France.

S’appuyant sur son expérience à la BnF, M. Roze présente une méthodologie applicable à tout établissement culturel, pour se préparer à un sinistre important (et donc a fortiori à une gestion de sinistres de moindre importance).

Une fois posée la condition sine qua non de la mise en place d’un plan d’action, à savoir l’appui ferme de la direction et de toutes les composantes de l’établissement, les différentes étapes exposées sont :

  • un état des lieux permettant une estimation des risques réels,
  • la mise en place de moyens matériels pour le sauvetage (dépôts et gestion de fournitures et matériel d’intervention, identification de locaux pour le traitement des collections sinistrées),
  • une sensibilisation et formation des différents membres du personnels,
  • une organisation de la réponse active en cas de sinistre, par l’établissement d’une cellule de coordination et un volontariat organisé, en prévoyant plusieurs scénarios,
  • la rédaction et la mise à jour de documents de référence (livret ou classeur de sauvetage) regroupant tous les éléments pratiques : déroulement type d’une opération de sauvetage, plans d’accès, tableau des gestes à faire/à éviter, listes de contacts internes et externes.

Les réactions de l’auditoire ont témoigné d’un besoin d’aide et de conseil pour mettre en place des formations, et d’autre part d’un désir de réunion des compétences entre établissements dans une structure commune.

 

Pour conclure, il semble y avoir eu, lors de ces journées-débats, de nombreuses prises de conscience individuelles et collectives des risques encourus. L’approche pluridisciplinaire choisie a fourni un tableau relativement complet des diverses sources d’information et des interlocuteurs des différentes instances en cas de sinistre ou en action de prévention des sinistres : historiens, ingénieurs et techniciens (hydrologie-hydraulique-hydrométrie…), conservateurs de musées, archives, bibliothèques et monuments historiques, conservateurs-restaurateurs de biens culturels… La pluridisciplinarité féconde des intervenants a encore une fois offert des angles d’approche divers et complémentaires et a donné une idée des collaborations à envisager. Il manquait toutefois une intervention d’interlocuteurs du domaine de la sécurité et des secours, voire des instances administratives…

 

 

A suivre…

 

Anne Marteyn, DSR/DSC

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La parution de ce colloque prévue pour l’année 2003.

Et les prochaines journées-débats du DESS de conservation préventive dont le thème annoncé est : " la conservation in situ, de la restauration à la conservation préventive ".