Microfilm

Retour à l'index

Microtaches sur microfilms

in Actualités de la conservation, n° 15, mai-décembre 2001

  Lors de prospections sur des séries de microfilms anciens datant de la fin des années 60 et conservés dans les magasins du site François-Mitterrand de la BnF, des taches brunes suspectes altérant la lisibilité de l’image ont été découvertes. Communément appelées "microtaches " ou " micropoints ", elles sont apparues sur les microfilms acétate dès cette période et tendent au cours du temps, à s'étendre sur les images.

Symptômes

Les microtaches apparaissent essentiellement sur les microfilms sur support ester de cellulose (acétate ou nitrate de cellulose) développés et fixés. Leur taille varie de 10 à plusieurs centaines de microns ; elles peuvent prendre des formes variables (C.S. McCamy et C.I. Pope en ont répertorié 6 différentes) qui vont du rond parfait à la tache irrégulière mal délimitée. On les détecte à proximité des rayures de l’émulsion, dans les zones claires ou au contraire, dans les zones de forte densité. Elles peuvent suivre parfaitement la courbure des lettres ou bien former des ombres diffuses entre ces dernières.

Mais bien qu’hétéromorphes, les microtaches ont toutes un point commun : une couleur brunâtre qui tranche avec la monochromie des images noir et blanc. Et si l’on y regarde de plus près, l’on s’aperçoit que dans ces parties brunes, les grains d’argent ont disparu.

A quelques exceptions près (dont les films sur supports nitrate de cellulose), ces taches n’apparaissent que sur les films argentiques en rouleaux et de préférence après le premier tour de bobine. C.S. Mc Camy a toutefois rapporté des cas de microfilms sur lesquels des microtaches se sont formées sur la partie externe. Mais dans ces cas précis, soit un élastique en caoutchouc, soit un ruban adhésif avaient été utilisés pour maintenir la bobine.

 

Mécanismes de dégradation

Les mécanismes physico-chimiques impliqués dans la formation des microtaches sont similaires à ceux qui conduisent au jaunissement et à l’affaiblissement des images photographiques en noir et blanc. Ils consistent en une succession de réactions d’oxydation et de réduction de l’argent constitutif des images.

Ainsi, en présence d’un agent oxydant extérieur, les grains d’argent métallique qui forment les zones sombres des images s’oxydent en argent " ionique " incolore. Alors que l’argent métallique est bien ancré dans la matrice gélatineuse, les ions au contraire sont très mobiles et vont se disperser tout autour de la particule originale. Certains d’entre eux vont migrer vers la surface de l’émulsion où en présence d’agents réducteurs ils seront réduits à nouveau en argent métallique formant ainsi une couche réfléchissante appelée " miroir d’argent ", d’autres vont être réduits à proximité de la particule mère et adopter une conformation particulière : l’argent colloïdal de couleur brune. Les microtaches correspondent donc à des zones constituées de très petites particules d’argent désolidarisées du noyau métallique original, oxydées puis réduites sous forme d’argent colloïdal. Le grain d’argent original, éclaté, diminue en taille voire disparaît, laissant place à une lacune claire.

 

Causes

L’apparition des microtaches est donc due à la présence de composés oxydants et réducteurs présents dans l’atmosphère ou libérés par certaines boîtes de conditionnement.

Parmi ces composés on peut citer notamment certains acides (dont les acides acétique et nitrique libérés par les supports acétate et nitrate de cellulose eux-mêmes), la colophane utilisée pour encoller les papiers et les cartons, l’ozone, les oxydes d’azote ou oxydes de soufre présents dans l’air pollué, les solvants issus des peintures etc.

Certains composés comme le peroxyde d’hydrogène que l’on trouve dans les cartons de mauvaise qualité, peuvent agir à la fois comme oxydants et comme réducteurs et provoquer à eux seuls la formation des microtaches.

On ne connaît pas clairement les facteurs définissant la localisation et la forme des microtaches ; des causes multi-factorielles sont probablement à mettre en cause. Mais quel que soit le composé responsable de cette dégradation, une forte humidité relative alliée à une température élevée vont contribuer à la favoriser.

Lorsque des rayures sont présentes dans la couche gélatineuse, des microtaches se forment fréquemment à proximité de celles-ci. La raison en est une accessibilité plus importante des gaz ou autres produits oxydants dans ces zones où la gélatine, absente, n’assure plus son rôle protecteur.

 

Remèdes

Pour supprimer la coloration brunâtre, divers traitements chimiques consistant à réoxyder puis réduire l’argent colloïdal brun en argent métallique noir peuvent être envisagés. Mais ils sont souvent longs, fastidieux et non sans danger pour l’image.

Les taches brunes peuvent également être supprimées artificiellement lors d’une reprographie, en plaçant sur l’objectif de prise de vue un filtre bleu, couleur complémentaire de celle des microtaches.

Toutefois, lorsque la lisibilité de l'image a été altérée par les microtaches, il n’est plus possible de revenir en arrière et de récupérer l’image originale. Quel que soit le traitement effectué, les microtaches laisseront toujours place à des lacunes blanches, ce qui n’apporte pas forcément une amélioraton de la lisibilité.

Pour prévenir ou ralentir les processus de formation des microtaches, des conditions de stockage adéquates s’imposent. Les microfilms seront placés à l’intérieur de boîtes et pochettes " inertes " dont les qualités physique et chimique répondent à la norme ISO 10214. Il est préférable d'utiliser pour le conditionnement des microfilms sur supports en acétate de cellulose, des boîtes en carton contenant une réserve alcaline plutôt que des boîtes en plastique ou en métal hermétiques qui risquent de confiner les éventuels produits de dégradation des supports cellulosiques (acide acétique notamment) et entretenir par là même leur décomposition. Si des boîtes " dures " en plastique ou en métal doivent être utilisées, il peut être envisagé d’y ménager des ouvertures ou bien d’y ajouter des tamis moléculaires dont le rôle sera d’absorber les produits de décomposition. Dans tous les cas, la qualité à la conservation des matériaux sera scrupuleusement vérifiée.

L’air sera filtré et débarrassé de ses polluants (poussière, oxydes de soufre, oxydes d’azote, ozone...). L’humidité relative et la température seront contrôlées et maintenues dans la mesure du possible, à 40% et 5°C pour les microfilms noir et blanc sur support acétate et 40% et 18°C pour les microfilms noir et blanc sur support polyester.

On tâchera également d’utiliser des peintures, revêtements de sol, flocages... ne libérant aucun composé nocif, oxydant ou réducteur.

Le traitement initial des films est également important. Les thiosulfates et composés argentiques associés seront minutieusement éliminés lors du lavage, les bains seront filtrés des saletés et des poussières susceptibles de provoquer des rayures sur les films.

L’ajout d’iodure de potassium dans les bains de fixage ou des virages à l’or notamment, ont également été évoqués.

 

Conclusion

La quantité des microfilms conservés à la Bibliothèque nationale de France et présentant des microtaches n’a pas été évaluée à l’heure actuelle. Mais il n’est pas impossible que ce mal ait atteint une grande partie de nos collections. Si tel était le cas, une campagne de reconditionnement serait à envisager.

L’apparition des microtaches sur les microfilms noir et blanc argentiques n’est pas une fatalité. Elle peut être évitée si les matériaux de conditionnement sont judicieusement choisis et les conditions de conservation scrupuleusement respectées.

 

 

Thi-Phuong Nguyen, DSR/DSC, Centre technique de Bussy-Saint-Georges, laboratoire