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European commission for Preservation and Access et les Archives d'Etat de Basse-Saxe, Bückeburg, Allemagne, 18 - 19 octobre 2000
in Actualités de la conservation,
n° 13, septembre-décembre 2000
Ce colloque, organisé par L'ECPA (European Commission for Preservation and Access) et les Archives d'Etat de Basse-Saxe a réuni à l'Hotel de Ville de Bückeburg environ 185 personnes d'une trentaine de pays. Les participants étaient principalement bibliothécaires, archivistes, scientifiques et restaurateurs.
Cette conférence avait pour but de montrer par des exemples concrets comment la désacidification de masse peut être mise en application. Des représentants des bibliothèques et des archives ont expliqué le choix de leur procédé ainsi que la place consacrée à ce dispositif au sein de leur programme de conservation. Voici un résumé des interventions marquantes de ces journées :
Dr. Hubert HOING (Directeur, Archives d'Etat de Basse-Saxe)
Les Archives d'Etat de Basse-Saxe ont choisi pour traiter leurs archives le procédé de Bückeburg de la société Neschen. Cette méthode7 présente l'avantage de fixer les encres avant le traitement de désacidification. Pour les documents reliés, les Archives d'Etat ont fait appel à la firme Battelle et à la société Archimascon (procédé Bookkeeper). Les effets secondaires d'ordre physique et chimique sont des éléments décisifs dans le choix de ces méthodes de désacidification.
Le budget alloué annuellement ne permet pas de tout traiter. Une sélection rigoureuse des documents doit donc être effectuée : l'importance du contenu, la fréquence de la demande et la valeur intrinsèque du document constituent quelques exemples de critères de sélection.
Dr. Rainer HOFMANN (Archives fédérales, Berlin)
Les Archives fédérales disposent de 250 km de documents, dont la majeure partie date de la période sombre du papier (après 1850) et est susceptible d'être dégradée. Neschen comptait mettre en marche, à la fin de l'année 2000, une unité de désacidification utilisant le procédé de Bückeburg, près de Berlin. Les traitements doivent être réalisés par le personnel de cette société tandis que des experts indépendants vérifieront la qualité de la prestation. Les Archives fédérales investiront pour les douze années à venir 6 millions DM (20 millions FF) dans le traitement de certaines collections jugées parmi les plus importantes et qui représentent seulement un pour cent des collections totales des Archives. Ces chiffres amènent certaines considérations quant à la politique de conservation : il faut établir clairement des priorités de façon à éviter des demandes de fonds irréalistes et insister sur l'utilisation de papiers permanents dans l'administration publique.
Dr. Helga HUNGER (Directeur, Bayeris-che Staatsbibliothek)
Le Dr. Hunger a présenté le programme de désacidification de la Bibliothèque d'Etat de Bavière. Cette bibliothèque de recherche possède 7,4 millions de volumes, dont 5,4 millions ont été fabriqués à partir du milieu du XIXe siècle. Plus de trois millions de ces ouvrages ont déjà souffert des attaques acides. La moitié d'entre eux est déjà sévèrement fragilisée, tandis que l'autre peut encore être traitée. Compte tenu de la grande quantité de documents à traiter, un programme de désacidification basé sur des critères de sélection extrêmement rigoureux a été mis sur pied.
Les livres à traiter seront désacidifiés selon un procédé liquide (Battelle) ou sec (Libertec)2 en fonction des effets secondaires que ces procédés peuvent causer sur les matériaux du livre. Par exemple, le cuir, le plastique, les couvertures en parchemin, certaines encres ne supportant pas très bien un traitement avec le procédé Battelle, c'est donc le procédé Libertec8 qui prendra le relais.
Barbara KEIMER (Consultante, Archives d'Etat de Sachsen, Leipzig)
Les Archives ont choisi le procédé Battelle pour traiter les documents reliés et le procédé de Bückeburg pour les documents en feuille.
Barbara Keimer a insisté sur deux points : tout d'abord, bien que l'effet bénéfique d'une désacidification ne soit plus à démontrer, les procédés ont tous leurs limites et il est nécessaire de trier rigoureusement les documents d'après leur état physique. Une évaluation des dommages doit être effectuée pour chaque document : il faut savoir si le document peut être abîmé par le traitement et, le cas échéant, s'il existe une méthode alternative de traitement pour sauver ces documents (désacidification manuelle, microfilmage, etc.) ; deuxièmement, bien que l'on parle de traitement de masse, il faut accepter l'idée de faire une évaluation individuelle (valeur intrinsèque du document, effets secondaires acceptables). Une préparation soignée et un suivi qui inclut un contrôle qualité du traitement sont consommateurs de temps et d'argent, mais constituent des critères impératifs pour mener à bien de telles politiques de conservation.
Dr. Gunther NICKEL (Deutsche Litera-turarchiv, Marbach)
La Deutsche Litteraturarchiv possède une bibliothèque d'environ 700 000 volumes et une collection de documents manuscrits de 22 millions de feuillets. 80% de ces documents datent du XXe siècle. Un budget de 8 millions FF a été alloué pour traiter les collections. Etant donné la grande diversité des matériaux rencontrés, les traitements de désacidification sont adaptés en fonction de la nature des collections.
Les méthodes de préservation employées pour le département des estampes sont la désacidification en bombe et le microfilmage. Du fait du caractère unique et précieux de certains documents (par exemple les manuscrits de Kafka), des critères sévères ont été établis. Différents procédés ont été testés et rejetés parce qu'ils entraînaient la solubilisation des encres (procédés de Bückeburg et Battelle). Pour ce type de documents, le procédé sélectionné du fait de son innocuité fut le produit Bookkeeper en bombe.
Différents procédés ont également été testés pour traiter les ouvrages du département de littérature. La bibliothèque a travaillé étroitement avec la société ZFB (Battelle) pour essayer d'éliminer le plus possible les effets indésirables. Apparemment, la société ZFB a résolu le problème des irisations (anneaux de Newton) qui pouvaient se former sur certaines illustrations. Cet exemple montre l'importance d'établir une véritable collaboration avec les industriels pour qu'ils soient à l'écoute des besoins des bibliothèques et des archives et qu'ils contribuent à réduire les effets secondaires occasionnés par ces traitements.
Dr. Helmut SCHMIDT (Directeur, Institut für Neue Materialen, Saarbrücken)
L'équipe de Dr. Schmidt est en voie de mettre au point un nouveau procédé combinant désacidification et renforcement des ouvrages (en feuillets et reliés) en une seule étape. Le procédé de renforcement est basé sur l'imprégnation des ouvrages dans un solvant contenant des molécules qui en se polymérisant, formeront des liaisons entre les fibres de cellulose. Il a été démontré qu'une augmentation substantielle des propriétés mécaniques du papier peut être obtenue après imprégnation des papier par cette méthode. Pour réaliser l'étape de désacidification, des microparticules d'agents actifs (carbonate de calcium, oxyde de magnésium, etc.) sont ajoutées à ce système d'imprégnation. Des résultats préliminaires tendent à montrer que la neutralisation des acides en une seule étape peut être possible par ce procédé. Ce procédé combinant renforcement et désacidification des ouvrages entiers en une seule étape est encore loin d'être disponible sur le marché, mais ces premiers résultats semblent prometteurs.
Dr. Agnès BLUHER (Bibliothèque nationale suisse) et Regula NEBIKER TOEBAK (Vice-principale des Archives fédérales suisses)
Les intervenants ont présenté la toute nouvelle installation suisse de désacidi-fication du papier, mise en opération en mars 2000. Cette installation est exploitée par Nitrochemie Wimmis AG.
Après évaluation, le choix du procédé s'est arrêté sur le procédé « papersave » de Battelle Ingenieurtechnik GmbH. Le procédé a été amélioré par Nitrochemie Wimmis pour répondre aux besoins des Archives fédérales (AF) et de la Bibliothèque nationale (BN). Selon les intervenants, cette méthode modifiée permet de traiter aussi bien les livres, que les ouvrages non reliés, après avoir fait toutefois une sélection (de façon à exclure notamment les couvertures rouges, les papiers couchés, les journaux, etc.). Quinze critères de qualité ont été définis en collaboration avec Nitrochemie Wimmis AG. Ces critères, qui font partie intégrante du contrat établi avec la société, doivent être satisfaits à 95 %. Les critères concernent aussi bien l'efficacité du traitement (apport de la réserve alcaline, homogénéité du traitement et valeur du pH) que les valeurs limites des changements tolérés pour les matériaux traités (les changements maximaux de couleurs pour le papier, la diminution de la résistance mécanique, l'altération des encres, etc.).
La capacité de traitement est de 120 tonnes par an. La BN et les AF espèrent traiter chacune 40 tonnes. Le dernier tiers de la capacité sera mis à la disposition d'autres bibliothèques et archives, privées ou publiques. La BN estime qu'il faudra 25 ans pour traiter l'ensemble des collections. Il en coûte à la BN et aux AF environ 27 francs suisses (116 FF) par kilo de livres à désacidifier. Le prix comprend le transport des documents, le traitement, le conditionnement ultérieur et le contrôle qualité. Le coût annuel est estimé à 8,6 millions FF. Du mois d'avril au mois d'octobre 2000, 47 000 volumes ont été traités.
Ted A.G. STEEMERS (Archives nationales des Pays-Bas)
Ted Steemers a présenté le programme de désacidification de masse des Archives nationales (AN) des Pays-Bas. Ayant été contraintes d'abandonner le procédé DEZ en 1994, les Archives nationales ont opté pour le procédé Bookkeeper, après une évaluation critique des procédés disponibles qui a duré près de quatre années.
Seuls les ouvrages datant du 19e siècle et microfilmés au préalable sont traités. Le critère de sélection principal établi par les AN est la fréquence de la demande des documents. Viennent ensuite la valeur de l'information et l'état physique du document.
L'année 2001 a été choisie par les AN pour établir un plan des politiques de conservation des collections. Ce plan intégrera les politiques de conservation, de restauration, de microfilmage et de désacidification du matériel d'archives. Ce sera l'occasion d'analyser la place que doit occuper la désacidification de masse dans un programme de conservation plus vaste pour les quatre années à venir.
Dr. Henk J. PORCK (Koninklijke Bibliotheek)
Dr. Porck a exposé le programme de désacidification de masse de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas (Bookkeeper). Ce programme se fonde sur des critères de sélection rigoureux des ouvrages ainsi que sur un contrôle qualité serré. Par exemple, seuls les livres néerlandais de la période 1850-1950, acides et ayant été microfilmés, sont traités. Les livres trop fragilisés ne sont pas désacidifiés. Dr. Porck a insisté sur le fait que la désacidification, telle que pratiquée à la Bibliothèque nationale des Pays-Bas, n'est pas à proprement parler un traitement de masse et qu'elle doit plutôt être considérée comme une activité secondaire, principalement pour des raisons budgétaires. Elle occupe néanmoins une place importante au sein du programme de conservation de la Bibliothèque.
On peut tirer certaines leçons de ces journées. Tout d'abord, il a été clairement démontré qu'en raison de l'hétérogénéité des matériaux constituant le livre, il est impossible de tout désacidifier. Il n'existe pas actuellement de procédé de désacidi-fication de masse idéal et il faut donc continuer à trier les documents pour obtenir des résultats satisfaisants. Beaucoup d'institutions allemandes n'hésitent pas à utiliser différents procédés de désacidification pour traiter leur collection en fonction des effets secondaires que ces dispositifs peuvent générer sur les documents. La désacidification n'en demeure pas moins le moyen le plus sûr pour ralentir le vieillissement. La désacidification d'un document prolonge d'un facteur 5 sa durée de vie par rapport à un document non traité.
Bien que les recherches se poursuivent pour trouver un traitement de renforcement, il n'existe toujours pas de dispositif permettant de renforcer et de désacidifier les ouvrages de façon simultanée.
La formule miracle n'est donc pas encore trouvée. En attendant, les utilisateurs des différents procédés de désacidification de masse recommandent de travailler en étroite collaboration avec les industriels, de façon à mieux répondre aux besoins des bibliothèques et des archives et à améliorer les procédés.
Nathalie Buisson, Centre Technique de
Bussy Saint-Georges
Alain Lefebvre, Site de Sablé-sur-Sarthe
Les actes du colloque peuvent être consultés au Centre de Documentation du CTBnF.