Plan d'urgence

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La prévention des sinistres dans
les aires de stockage du patrimoine

Congrès international Prévention, Draguignan, 7 - 10 novembre 2000

in Actualités de la conservation, n° 13, septembre-décembre 2000

Ce congrès placé sous le parrainage de l'UNESCO, du Secrétariat d'État au Patrimoine et à la décentralisation culturelle et du Comité international du Bouclier bleu était organisé par le Centre archéologique du Var.

 

Il revenait à Marie-Thérèse Varlamoff (IFLA-PAC) de présenter le Bouclier bleu institué par la Convention de La Haye (1954) sur la protection des biens culturels (signalés à la vue des forces armées par un bouclier bleu) en cas de conflit. Il resterait à faire admettre les agressions contre le patrimoine comme crime de guerre passible du TPI. En 1996 a été créé un Comité international du Bouclier bleu (ICBS) qui œuvre à la mise en place d'un programme de prévention et d'incitation à la rédaction de Plans d'urgence.

 

Un comité français se met en place avec le statut associatif. Au cours de la discussion, ont été évoqués le souhait d'une action coordonnée au plus haut niveau pour amener à la généralisation des plans d'urgence, l'établissement d'un centre national doté de moyens de sauvetage significatifs, le recensement des fournisseurs et prestataires de services publics ou privés à l'échelon français.

 

Sommaire

Des sinistres très variés nous sont présentés

Ainouddine Sidi (Directeur du Centre national de documentation et de recherche scientifique) nous présente la prévention des risques volcaniques aux Comores. Une des principales réalisation est la cartographie des risques qui permet une préparation mieux ciblée chaque fois que, comme c'est actuellement le cas, un mouvement se prépare.

 

Louis-Marie Fahrner (architecte des bâtiments de France) et Geneviève Coche-Paquier (Conservation régionale des monuments historiques PACA) nous ont présenté les glissements de terrain survenus à l'abbaye du Thoronet et le vaste ensemble de conduits de drainage souterrains qui ont très sensiblement ralenti l'évolution des failles.

 

William Mourey (directeur du Centre archéologique du Var) nous fait "participer", grâce à une iconographie très parlante, à ses travaux sur l'influence des conditions climatiques sur la conservation des sites baleiniers aux Iles Kerguelen. Il n'existe qu'un seul autre exemple de site baleinier, c'est par ailleurs le seul témoin de deux siècles d'activité humaine dans les lieux. Les bâtiments relevés permettent de remettre en place le matériel reconstitué à l'aide des archives toujours disponibles en Norvège d'où l'essentiel provenait.

 

Viennent ensuite les conflits armés.

Stéphane Ipert (directeur du Centre inter-régional de conservation du livre , Arles ) rapporte les constatations faites au cours d'une mission sur la situation des bibliothèques en Irak après le conflit armé. Les collections de manuscrits publiques sont rassemblées au Centre Saddam Hussein à Bagdad, un bâtiment équipé pour résister aux bombardements. Le grand dommage y résulte de l'absence de toute notation des provenances ce qui fait perdre une partie majeure de la mémoire savante.

 

Tatjana Musnjak ( chef du Laboratoire de conservation des A.N. de Croatie) nous a présenté la situation des archives pendant la guerre en Croatie 1991-1995. La destruction ne visait pas seulement les archives historiques mais les archives vivantes nécessaires à la vie quotidienne (état civil etc.). Le bilan prouve que les dégâts de guerre ne sont pas de nature foncièrement différente de ceux qui se rencontrent habituellement mais les quantités ou l'accumulation additionnée de divers type en rendent le traitement plus complexe. Surtout, les dégâts directs (action des bombardements ...) ont été moins graves que les dégâts indirects causés par des déménagements successifs ou de mauvaises conditions de stockage provisoire (enfouissement, locaux non chauffés ou inappropriés ...).

Les opérations de protection des œuvres laissées sur place sont présentées ensuite par Isabelle Skaf (directrice de l'atelier de restauration du musée national du Liban, Beyrouth) ainsi que la restauration du bâtiment et le dégagement de ces œuvres avant la réouverture. Les objets entassés dans les sous-sols ont été plongés pendant des mois dans une eau salée qui a causé des dégâts supplémentaires. Il a fallu rincer soigneusement les poteries pour éviter la formation de croûtes à leur surface. Finalement, aucun plan écrit n'a été rédigé pour tenir compte de cette expérience, une certaine improvisation bien menée ayant fait ses preuves.

 

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L'évaluation des risques

Une juste appréhension des risques est la première démarche d'une planification.

 

Géraud de Lapasse (GIAT industries France) a tenté de brosser pour nous les perspectives de l'évolution des menaces de conflits . La difficulté vient du fait que si d'un côté, il y a une constante évolution de la nature des conflits, les modes les plus tribaux et tous les intermédiaires demeurent. Les vraies guerres cèdent le pas à ces luttes sans règle précise devant lesquelles les accords internationaux sont de peu d'effet. On arrive à un véritable renversement de situation par rapport aux objectifs tant de la Croix rouge que surtout du Bouclier bleu : ce sont les cibles interdites qui sont privilégiées, leur signalement même concourant à leur perte.

 

Lars Christoffersen (Consultant, Birch & Krogbe, Danemark) nous présente le bâtiment le plus sûr du monde : et pourtant ... Il s'agit du bâtiment projeté pour abriter les archives nationales à Copenhague, dont la construction devrait débuter l'an prochain pour s'achever en 2003. Dans sa conception architecturale même en volumes très nettement séparés, le projet réduit au maximum les possibilités d'extension d'un sinistre des salles publiques ou des bureaux vers les aires de stockage ou inversement. Le cloisonnement de tous les espaces (compartiments de 150 m² correspondant à 2 heures d'intervention pour venir à bout d'un incendie généralisé) et l'étanchéité des planchers vont tenter d'apporter une première réponse à la forte occurrence des incendies dans le tableau des sinistres sur 100 ans et aux dégâts consécutifs causés par les eaux. Cela a conduit en outre à sélectionner un type de rayonnage ne s'effondrant pas complètement et sur lequel les collections resteraient en place au lieu de se trouver précipitées dans le foyer comme c'est le plus souvent le cas. Pour les rayons mobiles, une procédure automatique doit permettre de leur faire reprendre après chaque usage (lorsque l'on quitte le magasin) une position de fermeture optimale pour éviter la propagation du feu.

 

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Des choix de priorités

Hélène Caponado-Cordonnier nous a présenté le plan élaboré aux Archives départementales des Alpes-maritimes. Pour signaler les priorités, des listes par cotes ont été établies qui ne sont remises qu'au chef des services de sécurité de la Cité départementale qui les remettrait à son tour en cas de sinistre aux équipes de secours. Les Commandants Blanc et Bourgeois des brigades de pompiers de Seine-et-Marne nous présentent ensuite avec projections le Plan du château de Champs-sur-Marne.Le travail a été réalisé tout au long par une coopération entre l'équipe de conservation du château et la brigade départementale. Un plan d'intervention très détaillé a été établi pour permettre la réalisation simultanée de la lutte contre le sinistre, du sauvetage des victimes et de celui des œuvres. Il comporte toutes les indications utiles pour définir les priorités d'intervention, mais celles-ci ne sont données aux secours qu'au moment d'une intervention. Une formation est donnée aux pompiers pour leur faire connaître mieux les caractéristiques des œuvres, leur importance relative et la façon de les aborder. Il faudrait faire entrer ce type d'intervention dans les mécanismes du Plan ORSEC avec tout leur accompagnement de formation etc. La loi sur l'organisation de la Sécurité civile (22/07/87) prévoit expressément l'existence de "Plans de secours spécialisés" dont plusieurs ont été réalisés et la liste n'est pas clause. Il pourrait y en avoir un pour les biens culturels.

 

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Des plans à l'épreuve du temps...

Lesley Corsell (East Midlands Museums Service G.B.) nous a fait part de l'expérience de mise en commun de ressources dans les musées de sa région : fournitures de manuels de conseils, mise à disposition d'équipes de 12 personnes en cas de sinistre, mais aussi de fournitures et de matériels complémentaires et ceci 24h/24, mise en place de cycles de formation. Susan Payne (Perth Museum and Art Gallery, G.B.) rapporte comment une inondation a pris d'assaut Tayside en Ecosse en 1993. L'institution possédait un plan d'urgence un peu « préfabriqué » et jamais testé, donc inutile. Dans la précipitation et sans tenir compte des prescriptions, tout ou à peu près a été envoyé en congélation et ... s'en est assez bien porté.

 

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Des méthodes de prévention et de sauvetage

Jean-Pierre Vantelon (Laboratoire de combustion et de détonique, Ecole supérieure de mécanique et d'aérotechnique. Poitiers) illustrait ensuite l'emploi des brouillards d'eau dans la lutte contre les incendies. Cette méthode permettant avec dix fois moins d'eau répandue d'obtenir des résultats bien supérieurs à ceux fournis par les sprinklers. En marge des incendies, Marie-Odile Kleitz , Jean-Marc Vallet (CIRCP, Marseille) et des membres du Laboratoire de police scientifique de Marseille nous présentent le cas de toiles exposées dans les pièces voisines épargnées par le sinistre.. Par ailleurs la partie recouverte par les cadres est toujours épargnée. L'étude qui serait intéressante à mener pour des documents de bibliothèques, vise à comprendre les mécanismes en cause, à déterminer dans chaque cas la température à partir de laquelle des dégradations apparaissent pour tenter d'agir préventivement sur les conditions générales dans les pièces voisines des sinistres.

 

Les sinistres conduisent souvent à déplacer de grandes quantités d'objets précieux. Jacques Caire (GIAT industries) s'est attaché à nous présenter les méthodes de traçabilité des biens du patrimoine évacués en urgence en s'appuyant sur celles employées dans le suivi des armements et matériels de guerre. On a du définir des codes uniques pour chaque pièce. Le code PAF 417 (Portable data file) qui est dans le domaine public a été choisi. Il permet l'établissement d'étiquettes qui correspondent à nos besoins. L'information est protégée par la définition de plusieurs niveaux d'autorisation de lecture. Il est prudent de tracer ainsi non seulement l'œuvre mais les différents emballages avec liste de leur contenu ce qui évite de devoir ouvrir pour contrôle.

 

Françoise Flieder (directeur émérite du C.R.C.D.G.), présente un aperçu des divers travaux sur le sauvetage des livres et des documents d'archives mouillés qui ont fait l'objet de ses recherches pendant des années. Elle souligne les limites du séchage à l'air libre qu'elle réserverait aux volumes peu mouillés, montrant des exemples de volumes dont la reliure cuir a éclaté suite à un séchage mal contrôlé. La solution la plus générale lui paraît être la congélation rapide à -30 ou - 40°. La suite logique lui paraît être la lyophilisation avec là aussi quelques points forts : le transport impératif en camion frigorifique pour éviter tout début de décongélation est la condition de base d'une réussite. Pour protéger encore plus efficacement les cuirs, le C.R.C.D.G. a mis au point une technique de badigeonnage des parties concernées avec du polyéthylène glycol 300. Pour une reliure en plein cuir, on place celle-ci sous jaquette en polyéthylène (comme une couverture de livre d'écolier) ce qui rétablit des conditions favorables. Le parchemin ne supporte pas l'opération. Les documents photographiques modernes supportent très bien, mais c'est le papier couché qui est le principal bénéficiaire. Pour obtenir les meilleurs résultats, il ne faut pas hésiter à retremper dans l'eau avant congélation les volumes imprimés sur ce support qui auraient commencé à adhérer. La technique d'assèchement par micro-ondes a l'avantage de désinfecter au cours de la même opération. Il ne s'agit pas de l'appareil domestique bien connu mais d'un dispositif particulier d'une puissance de 600W alimenté en documents par un tapis roulant. La méthode est réservée aux documents en feuilles présentés les uns à la suite des autres et humidifiés au préalable sous peine de grave dessèchement. On a pu traiter des cahiers de 8/10 pages en un seul passage. Vient souvent ensuite la nécessité de désinfecter les documents. Il lui semble que ce devrait être le cas pour tous ceux que l'on a fait sécher à l'air libre. Le traitement à l'oxyde d'éthylène (20h de contact en autoclave à 20° et 50% d'H.R.) reste à ce jour le meilleur, il nécessite cependant de bien gérer la phase de désorption (une semaine pour papier et cuir, 3 environ pour les matières plastiques).

 

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Le conditionnement comme prévention

Marc Bouiron, Laetitia de Boisseson, Daniel Drocourt (Atelier du patrimoine de la ville de Marseille) ont l'occasion de développer les conséquences de l'inondation dans un dépôt de fouilles après les intempéries de septembre 2000. Au retrait de l'eau, la plupart des boites de polypropylène alvéolaire contenant les collections sous-classées dans des sachets plastique , sur les rayonnages inférieurs, s'étaient renversées au sol, éventrées et tout était mélangé. Un excellent inventaire informatisé où chaque ligne correspondait à un sac plastique à l'emplacement noté soigneusement a largement facilité le repérage et le reclassement des objets. Les étiquettes sous cache plastique comme on en utilise pour les expédition ont bien résisté, mais les boites renversées seront toutes jetées pour éviter d'avoir à désinfecter (problème des alvéoles). Il faut noter qu'un conditionnement en boites de carton aurait nécessité le reconditionnement de toutes les collections, les boites situées en hauteur, quoique non atteintes ayant été exposées de façon prolongée à une atmosphère très humide. Lors de la discussion, Jacques Rebière signale que son laboratoire travaille actuellement sur des sacs plastique de type Minigrip aux parois micro-perforées et qui pourraient répondre aux craintes d'humidité subsistante à l'intérieur des sacs suite à un sinistre.

 

Jacques Ribière (Centre archéologique du Var) devait clore avec Jacques Lemaire (Université de Clermont II) le congrès dont il avait ouvert les travaux, avec une communication sur l'emploi des caisses en polypropylène alvéolaire pour un stockage prolongé du patrimoine : un mode de prévention de certains sinistres ? L'étude se place plutôt dans l'optique des dépôts de fouilles archéologiques mais certains de ses éléments pourraient s'appliquer plus largement. Le polypropylène a été choisi après consultation du Laboratoire national d'essai et d'un laboratoire de l'Université de Clermont (Centre national de photoprotection). J. Lemaire nous a présenté la méthode employée pour l'étude de l'évolution du polymère sous diverses influences. Polypropylène est un terme recouvrant de nombreux produits mais qui ont tous la même composition générale. La principale conclusion du travail est la nécessité d'ajouter certains additifs pour assurer la stabilité et la pérennité du produit qui convient ensuite pour une conservation à l'intérieur et à l'abri de la lumière du jour. La résistance physique et mécanique a fait l'objet des travaux du Laboratoire national d'essai qui démontrent la supériorité du polypropylène sur le carton. Des essais de combustion comparée (avec une cigarette appliquée sur le couvercle puis sur le côté) ont été réalisés sur des boites vides. Dans les deux cas l'application sur le couvercle génère un trou. L'application latérale donne lieu à des réponses différenciées. Le polypropylène est à nouveau percé, tandis que le carton s'enflamme. Si l'on expose à une flamme plus importante, le carton brûle encore, le polypropylène à tendance à fondre. Il faudrait le porter à 408° C pour provoquer l'embrasement, alors que le carton s'enflamme à 263°C. Les études envisagées en complément amèneront à travailler sur des boites pleines pour étudier les effets comparés sur leur contenu. Lors de la discussion, la comparaison avec des boites en carton neutre pleins a été souhaitée. La qualité de perméabilité à l'air des cartons actuels permet un échange avec l'extérieur fort utile en cas d'exposition passagère et limitée à l'humidité.

 

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Vers une législation renforcée ?

Fait assez rare, les Archives départementales du Var se trouvent fermées depuis plusieurs mois sur avis de la commission de sécurité et ne rouvrira qu'après l'agrément donné par cette dernière aux travaux réalisés pour améliorer la résistance au feu du bâtiment. Geneviève Etienne et Pascale BUGAT (A.D. du Var) nous précisent que plusieurs experts successifs ont été sollicités pour établir des diagnostics de conformité aux conclusions variables et bien délicates à départager.

 

Michel Cauchon (ancien directeur du Centre de conservation du Québec) présente un projet de loi réformant la Sécurité civile qui va permettre d'inclure la protection des biens culturels dans les attributions de celle-ci. La loi comporterait l'obligation de se doter d'un plan d'urgence.

 

Vers une "économie" des sinistres ?

Quelques toutes premières réflexions. Jean-Louis Martineau-Lagarde (Chef du département Muséologie, architecture, équipement à la DMF, ministère de la culture), résume les conséquences de la tempête de 1999 sur les musées de France. L'effet médiatique a été très profitable aux grands monuments qui disposaient des moyens humains et financiers pour orchestrer des campagnes de sensibilisation et récolter des moyens exceptionnels d'origine publique et privée. Par exemples deux parcs voisins ayant subi les mêmes dégâts (Versailles et les granges de Port-Royal) sont loin d'avoir les mêmes perspectives de restauration. Les contrats d'entretien annuel passé avec des entreprises se sont avérés des facteurs très positifs pour obtenir sans lourde procédure de marché des interventions exceptionnelles.

 

Roland MAY (responsable de la conservation préventive, CRRMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France), concluant le congrès, souhaite d'abord qu'un prochain colloque ne soit plus le lieu d'incitation à la mise en place de plans mais l'occasion de présenter des exemples de réussite dans leur emploi. Il souhaite aussi que lors de la programmation de bâtiments neufs ou de grands travaux de rénovation, les situations de risque soient prises en compte explicitement.

 

L'information et la sensibilisation des personnels et du public dans ce domaine devraient être développées. Le Conseil de l'Europe va être saisi d'une demande visant à obtenir qu'il propose aux gouvernements de placer la conservation préventive au programme de toutes les stratégies élaborées autour des biens culturels.

 

La publication des actes devrait intervenir dans 6 mois environ.

 

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Jean Pierre Roze, DSR/DC, chargé de mission pour la mise en place d'un plan d'urgence