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Quel papier pour quel usage ?
in Actualités de la conservation , n° 13, septembre-décembre 2000
Conserver ou prévenir, la question ne se pose plus. Pour que le patrimoine écrit d'aujourd'hui puisse être transmis aux générations futures, les différents acteurs de la conservation restauration, de concert avec les éditeurs, papetiers et imprimeurs, ont décidé de porter leurs efforts sur la conservation préventive et en particulier sur la promotion des papiers sans acide.
Mais de très nombreuses qualités de papiers qui sont disponibles aujourd'hui sur le marché vantent les mérites de la neutralité ou de la stabilité sur le long terme, voire même de la permanence. Devant cette profusion de produits, il faut bien admettre que le choix est souvent difficile, d'autant plus que leurs spécifications ne sont pas toujours très explicites.
Quel papier doit-on utiliser et pour quel usage ?
Quelles sont donc les différences entre un papier neutre, un papier de conservation et un papier permanent ?
Un papier neutre ou sans acide possède un pH proche de 7 1; mais ce paramètre ne tient pas compte de sa composition chimique ni de ses propriétés mécaniques.
Or il existe dans certains papiers neutres, des impuretés comme la lignine ou des additifs instables qui en se dégradant, risquent d'entraîner une diminution des propriétés mécaniques du papier. A long terme, celui-ci peut se fragiliser, devenir cassant et friable.
Ainsi, le pH ne reflète en aucun cas la qualité intrinsèque du papier ; neutralité n'est donc pas forcément synonyme de qualité.
Bien qu'utilisé par certains distributeurs de produits de conservation, ce terme n'a aucune valeur officielle . Il s'applique à une certaine catégorie de papiers stables chimiquement pouvant être utilisés à des fins de conservation mais ne répondant pas forcément aux paramètres de permanence définies par la norme ISO 9706.
Les papiers dits « de conservation » répondent au moins aux trois critères suivants :
L'absence d'azurants optiques fait parfois également partie des critères valorisant ce type de papiers. En effet, ces composés, utilisés pour améliorer la blancheur du papier (en lui donnant un aspect « plus blanc que blanc ») sont chimiquement instables : ils se dégradent très rapidement à la lumière du jour. Un papier azuré peut donc rapidement perdre sa blancheur initiale s'il est exposé au soleil.
Pour améliorer sa blancheur, des produits à base de chlore peuvent également être ajoutés à la pâte lors du processus de fabrication. Or le chlore peut réagir avec l'eau pour donner de l'acide chlorhydrique, composé néfaste pour la conservation du papier.
Certains fournisseurs proposent donc également des gammes de papiers sans dérivés chlorés.
La norme internationale ISO 9706 établie en 1994 définit une catégorie de papiers de conservation possédant un très haut degré de stabilité et recommandés pour les documents d'archives et les publications à longue durée de vie. Ces papiers dits « papiers permanents » répondent non seulement aux trois premiers critères précédemment définis pour les papiers de conservation mais ils possèdent également une certaine résistance mécanique :
Pour les papiers dont le grammage est supérieur à 70 g/m2, la résistance au déchirement doit être supérieure à 350 mN.
Pour les papiers dont le grammage est compris entre 25 et 70 g/m2, la résistance au déchirement doit être supérieure à (6x le grammage exprimé en g/m2 - 70) mN.
Tous les papiers qui obéissent à la norme ISO 9706-1994 doivent posséder une réserve alcaline supérieure ou égale à 2% d'équivalent de carbonate de calcium (soit 20 g de CaCO3 / kg de papier). La réserve alcaline permet de neutraliser toute acidité apportée par l'extérieur ou produite par le papier lui-même. Il faut savoir que cette réserve minérale n'est pas inépuisable et qu'elle diminue d'autant plus rapidement que l'apport d'acidité est important.
L'indice Kappa, représentatif de la résistance à l'oxydation de la pâte à papier et lié au taux de lignine doit être inférieur à 5 (ce qui correspond à un taux de lignine inférieur à 1%).
Le pH de l'extrait aqueux doit être compris entre 7,5 et 10
La norme ISO 9706-1994 concerne en priorité les papiers pour impression-écriture ou pour photocopie.
Elle privilégie donc le maintien des propriétés mécaniques et de la lisibilité du document. Tant que ce dernier paramètre est respecté, les légères modifications des caractéristiques optiques (couleur, aspect de surface) sont admises.
Cette norme tolère donc la présence des composés améliorant l'aspect optique des papiers tels que les azurants optiques.
Remarque :
D'après de récentes études4, la lignine n'aurait aucun effet négatif sur la stabilité des papiers contenant une réserve alcaline. Le taux de lignine admissible dans les papiers permanents pourrait donc être revu à la hausse. C'est sur ce point que se penchent actuellement les laboratoires de l'Institut Canadien de Conservation, la Bibliothèque du Congrès (Washington D.C.), l'Image Permanence Institute (Rochester, N.Y.) et la Forest Products Research Laboratory (Madison, Wis, E.U.) ; les études menées par ces différentes équipes devraient aboutir à la rédaction d'une norme plus « tolérante » à l'égard des papiers contenant de la lignine5.
Est apparu également sur le marché depuis quelques années, un nouveau produit d'archivage : le MicroChamber®.
Outre une réserve alcaline, ce matériau contient un tamis moléculaire et du charbon actif capables de piéger de très nombreux polluants comme les phénols, les aldéhydes ou le peroxyde d'hydrogène6. Les documents conservés dans des pochettes MicroChamber® et soumis à la pollution atmosphérique voient donc leur espérance de vie augmenter substantiellement par rapport à ceux qui sont conservés dans des pochettes en papier permanent. Son haut pouvoir de protection vis-à-vis des agents de pollution en font donc un produit idéal pour le conditionnement des documents .
Papier neutre, papier de conservation ou papier permanent, le choix de l'un ou l'autre dépendra essentiellement de l'usage auquel il est destiné mais également du prix que l'on veut y mettre.
Si la plupart des papiers permanents restent relativement chers, il faut savoir qu'un papier bon pour la conservation n'est pas forcément inabordable.
Thi-Phuong Nguyen, DSC, Centre technique de Busy-Saint-Georges/ laboratoire
1 Le pH d'un papier peut être mesuré de deux façons différentes:
- la première consiste à déposer une goutte d'eau sur la surface du document puis d'en mesurer le pH à l'aide d'une électrode plane. Cette méthode ne donne que la valeur du pH de surface qui peut être très différente de celle du papier lui-même si celui-ci est couché ou glacé par exemple
- la deuxième consiste à mesurer le pH d'une solution aqueuse contenant une quantité connue de papier. Les valeurs obtenues par cette méthode, destructive et plus difficile à mettre en œuvre, sont plus représentatives de celle de la masse du papier.
2 Le bois dont sont issus les papiers courants est un matériau composite constitué de molécules de cellulose (très stables) liées à d'autres substances comme la lignine ou l'hémicellulose. Ces dernières sont chimiquement instables et très sensibles aux agressions extérieures (lumière, chaleur, humidité...etc...) ; elles sont éliminées lors des processus de fabrication des pâtes à papier par traitements chimiques.
3 L'acidification des papiers du 19ème siècle est essentiellement due à l'utilisation des colles alun-colophane. En particulier, l'alun (sulfate d'aluminium et de potassium), utilisé ici pour améliorer la fixation de la colophane sur les fibres du papier, réagit à long terme avec l'eau pour former un acide fort, l'acide sulfurique.
4 P.Bégin, J. Iraci et al. ; actes des troisièmes journées internationales d'études de l'ARSAG ; avril 1997 ; p. 141-152
5 La motivation de ces études est principalement d'ordre économique. En effet, les pâtes à haut rendement qui contiennent de la lignine sont beaucoup moins chères que les pâtes 100% chimiques (sans lignine) plus consommatrices de bois.
6 F. Daniel, V. Hatzigeorgiou, S. Copy, F. Flieder, Travaux du CRCDG 1994-1998, p. 25-50