Du bon usage des encres et des antidérapants

in Actualités de la conservation, n° 10, août-décembre 1999

Sommaire
Les encres d'estampillage
Antidérapant : une protection pour les ouvrages

 

Thi-Phuong Nguyen et Nathalie Buisson du laboratoire de Marne-la-Vallée ont rencontré Caroline Heid, chargée de conservation au département Droit, Economie, Politique et Jean-Fançois Foucaud, directeur du département Littérature et Art, pour faire le point sur le choix de deux produits : une encre d'estampillage et un antidérapant. Entretiens.

Les encres d'estampillage

Laboratoire : au mois de juillet 1999, vous nous avez demandé une analyse comparative de deux encres rouges utilisées pour l'estampillage des documents. Pour quelles raisons ?

 

Caroline Heid : Suite à une étude menée par le laboratoire de Richelieu en 1990 et par le CRCDG en 1992, le département de la conservation a vivement recommandé l'utilisation de "l'encre extra fluide pour machine à affranchir " fabriquée par la société Herbin-Sueur pour l'estampillage des documents ( " proposition pour l'estampillage des collections de la Bibliothèque nationale de France ", juin 1994 ). Ainsi, à l'occasion du remplacement des anciennes estampilles l'encre Herbin-Sueur a remplacé l'encre Tiflex utilisée jusqu'alors par certains départements de la BnF. Toutefois il reste encore des stocks importants d'encre Tiflex dans les réserves de la direction des moyens techniques. Nous voulions savoir comment cette encre pouvait être utilisée.

 

Par ailleurs, certains agents de la Bibliothèque de l'Arsenal ont abandonné l'utilisation de l'encre Herbin-Sueur, ayant remarqué que celle-ci encrait moins bien les tampons et avait tendance à pâlir au cours du temps. Nous voulions donc avoir l'avis du laboratoire sur ces problèmes du comportement à long terme de ces encres, problèmes auxquels la directive de la DSC n'apporte pas de réponses claires.

 

Laboratoire : Pour répondre à cette question et préconiser l'utilisation d'une encre, il faut tenir compte de deux paramètres : son comportement à long terme mais également son innocuité sur les documents.

Pour comparer la qualité des encres Tiflex et Herbin-Sueur, trois tests ont donc été effectués : les deux premiers sont des tests de vieillissement accéléré à la chaleur / humidité et à la lumière, le troisième est un test d'activité photographique. Nous avons également étudié la solubilité de ces encres dans différents solvants organiques ; ce facteur est également à prendre en considération si l'on prévoit des restaurations ultérieures pouvant nécessiter l'utilisation de ces solvants. Il serait dommage que l'encre s'étale suite à ces interventions.

Comportement de l'encre à long terme

Nous avons pour les deux premiers tests, comparé la couleur des encres avant et après vieillissement. Exposées à la lumière ou à la chaleur/humidité, les encres Tiflex et Herbin-Sueur suivent globalement la même tendance : elles ont toutes deux une couleur dominante rouge qui s'estompe progressivement au cours du vieillissement mais elles possèdent également une légère teinte jaune qui disparaît très rapidement dès les premiers jours d'exposition.

 

Il faut néanmoins préciser que le comportement des encres à la lumière varie en fonction de la nature du papier sur lequel elles sont appliquées. En effet, sur un papier à pâte chimique, leur décoloration est beaucoup plus rapide que sur un papier à pâte mécanique ou un papier coton. Par ailleurs, l'encre Herbin-Sueur enduite sur un papier coton s'estompe plus rapidement que l'encre Tiflex enduite sur le même papier.

 

Innocuité sur les documents

Afin de vérifier l'innocuité sur les documents des encres Tiflex et Herbin-Sueur, nous avons effectué un test d'activité photographique pour chacune d'entre elles.

 

Ce test a été conçu au départ pour évaluer les interactions chimiques (oxydation ou réduction) pouvant exister entre un matériau étudié (ici l'encre) et un phototype (photographie ou film). Ces derniers étant particulièrement sensibles à toute présence d'agent oxydant ou réducteur, le test d'activité photographique est donc tout à fait fiable pour prévoir l'effet à long terme d'un matériau sur les phototypes ; il peut être généralisé aux documents graphiques particulièrement fragiles comme les manuscrits.

Pour mesurer cet effet, des échantillons de papier enduits d'encre ont été mis en contact avec un film et un papier photographiques tests et le tout a été placé dans une enceinte climatique à 80°C, 65 % d'humidité relative pendant 2 semaines. Les densités optiques des films et des papiers photographiques ont été mesurées avant et après vieillissement puis comparées à un témoin. Si l'encre Tiflex passe ce test avec succès, il n'en est pas de même pour l'encre Herbin-Sueur qui provoque un fort jaunissement du papier photographique ainsi qu'une décoloration du film. Ces phénomènes témoignent de la présence d'agents oxydants qui peuvent s'avérer néfastes pour la bonne conservation des phototypes en particulier et des documents graphiques en général. Ainsi, le comportement des deux encres à la chaleur/humidité et à la lumière n'est pas déterminant.

En revanche, le facteur qui fait la différence entre les deux encres est leur effet sur les photographies. Pour cette raison, nous déconseillons l'utilisation de l'encre Herbin-Sueur pour l'estampillage des phototypes ou des documents particulièrement fragiles.

 

Mais comme les choses sont rarement simples, les tests ont montré une plus grande solubilité de l'encre Tiflex dans la plupart des solvants organiques utilisés dans les ateliers de restauration (méthyléthylcétone, acétone, acétate d'éthyle, tétrahydrofuranne). Pour les documents moins fragiles tels que les imprimés ou les journaux, on peut donc continuer à utiliser l'encre Herbin-Sueur. Notons qu'aucune des encres étudiées n'est soluble dans le méthanol ou l'éthanol ; elles sont donc compatibles avec un traitement de désacidification par le procédé de Sablé.

 

Caroline Heid : Peut-on optimiser l'efficacité de l'encrage en choisissant un tampon encreur plutôt qu'un autre ?

 

Laboratoire : En effet, il est intéressant de souligner que les tests chimiques présentés précédemment ne tiennent pas compte de cet aspect "mécanique ". Pour étudier l'efficacité de l'encrage il faudrait effectuer des essais avec différents types de tampons encreurs mais également demander aux utilisateurs ce qu'ils pensent de la qualité de l'estampillage obtenu avec chacune des deux encres étudiées.

 

Retour haut de page

Antidérapant : une protection pour les ouvrages

Laboratoire : Pour quelles raisons recherchez-vous un antidérapant ?

 

Jean-François Foucaud : les vibrations générées par le déplacement des compactus sont susceptibles de faire basculer les livres. Dans les cas extrêmes, ceux-ci peuvent être littéralement écrasés par la course du compactus. Il y a encore quelque temps, chaque semaine, un livre en moyenne subissait des dégâts nécessitant une restauration.

Il est devenu indispensable de trouver un dispositif pour empêcher les documents de se déplacer sur les rayonnages et de tomber. Cependant, celui-ci doit répondre à plusieurs exigences : il doit être peu coûteux, facile à poser en bordure des tablettes (sans nécessiter le déplacement des livres), discret, sans épaisseur, et enfin, ne pas attirer la poussière. Mais surtout, ce dispositif ne doit pas ralentir le processus de distribution des ouvrages.

 

Jean-Francois Foucaud : Nous venons d'énoncer des considérations purement pratiques. Selon vous, quels sont les critères scientifiques de choix d'un antidérapant ?

 

Laboratoire : Le laboratoire préconise un produit répondant à deux conditions essentielles : l'antidérapant doit être bon pour la conservation et il doit bien vieillir. Un matériau bon pour la conservation n'émet pas de produits nocifs pour les documents graphiques. Un antidérapant qui vieillit bien garde ses propriétés physiques à long terme (par exemple, dans le cas d'une mousse, celle-ci ne doit pas s'effriter avec le temps). L'antidérapant choisi doit conserver ses propriétés adhésives. Dans le cas où l'on voudrait le retirer des rayonnages, la colle doit pouvoir s'enlever facilement. Tous ces critères devront également être pris en compte lors du choix final.

 

Jean-François Foucaud : Nous avons sélectionné deux antidérapants : Tésaband et Alvéolit et nous vous avons demandé de les analyser. Quels sont les résultats des tests ?

 

Laboratoire : Le Tésaband offre les avantages que vous désirez. Il peut se fixer en un mince ruban sur les bordures des tablettes. Il est donc pratique et discret. Cependant, les analyses effectuées au laboratoire (tests d'activité photographique) montrent que cet antidérapant libère des produits extrêmement nocifs qui peuvent nuire à l'intégrité des documents.

L'Alvéolit quant à lui, possède de bonnes propriétés chimiques, mais on s'interroge sur ses propriétés antidérapantes. D'où l'intérêt de le tester sur quelques tablettes avant de prendre une décision.

Ces deux produits n'étant pas entièrement satisfaisants, des études sont en cours pour trouver un nouveau matériau qui réunisse toutes les qualités requises.

 

 

Nathalie Buisson
Thi-Phuong Nguyen

Centre technique de Bussy-Saint-Georges, laboratoire