Désinfection

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Huiles essentielles et conservation des œuvres d'art :
des huiles essentielles à la conservation ?

Musée des Arts et Traditions Populaires, Paris, 2 - 3 décembre 1998

in Actualités de la conservation, n° 9, février-juillet 1999

Ce compte rendu est un résumé succinct de certaines interventions, les actes du colloque devant paraître sur le site Internet du Ministère de la culture.

Ce colloque présente les résultats des travaux du groupe "désinfection des biens culturels " financé par la Mission de la recherche et de la technologie du Ministère de la culture et de la communication et dont le but, selon J.P. Dalbera, chef de la MRT, est de mettre en place un relais entre l’évolution de la recherche scientifique et les restaurateurs.

Après un bref rappel sur les protagonistes (moisissures et huiles essentielles), ces journées rendent compte des travaux de ce groupe interdisciplinaire qui a permis d’aborder le sujet, sous l’angle de l’action des huiles essentielles sur les moisissures, de leur normalisation, et du mode d’application dans les bibliothèques ou archives.

Pour fixer les données du problème…

M.-F. Roquebert, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, nous rappelle en préambule les 84 genres et 324 espèces de moisissures répertoriés dans les bibliothèques par Zyska en 1997. Ces moisissures ont un cycle de vie passant par une phase de dormance (sous la forme de spores) à une phase de développement (on parle alors de thalle) qui est celle qu’il faut redouter pour les œuvres. L’humidité du milieu environnant est le facteur déterminant pour la germination des spores. Ces dernières sont disséminées en fonction du genre et de l’espèce, soit par l’air (spores sèches), soit par adhésion à des vecteurs comme l’homme ou les insectes (spores humides).

Au sujet des huiles essentielles, Cécile Marquier, pharmacien à l’université de Toulouse nous précise qu’elles sont composées de différentes molécules, et que leur composition peut varier selon le terroir de production. D’où la nécessité de la mise en place d’une assurance qualité basée sur une espèce de carte d’identité physico-chimique des huiles essentielles : on parle alors d’une huile chemotypée.

 

Les travaux…

Trois équipes ont plus particulièrement travaillé à la mise en place de protocoles expérimentaux, afin d’évaluer l’efficacité de diverses huiles essentielles sur les souches caractéristiques des bibliothèques (fonction de la fréquence d’isolement et de leur activité cellulolytique).

Après un premier "screening " réalisé par C. Roques de l’université de Toulouse, quatre à six huiles, selon les équipes, ont fait l’objet d’études plus approfondies pour évaluer leur efficacité vis-à-vis des moisissures par contact (dilution dans le milieu de culture) ou en phase vapeur.

Selon les résultats préliminaires de C. Roques, M. Rakotonirainy du C.R.C.D.G., et de F. Baba-Moussa de l’université de Reims, il semble qu’en phase vapeur et par contact, les huiles de citronnelle, de chénopode ou de thym à carvacrol aient un potentiel intéressant. L’étude qualitative des huiles montre la présence de composés majoritaires tels que le citronellal, le géranial ou le néral qui pourraient être à la base de leur action antifongique. Toutefois, le C.R.C.D.G. précise que l’efficacité du produit de synthèse pur, correspondant au composé majoritaire, n’est pas nécessairement supérieure à celle de l’huile. On soulève donc ici le problème de leur mode d’action : C. Roques propose l’hypothèse d’une action désagrégeant la membrane du mycélium ou une interférence avec la chaîne respiratoire. Ces hypothèses, en accord avec l’efficacité des huiles sur les spores, laissent entendre que les huiles seraient plus efficaces sur le thalle que sur les spores.

Reste à savoir comment on peut concrètement utiliser ces huiles.

G. Orial nous présente la technique de la thermonébulisation qui permet l’émission d’une vapeur sèche grâce à l’association d’un flux d’air à grande vitesse (12 litres/h) et d’une température élevée (500 à 550°C en sortie de résistance). Le parlement de Rennes et les grottes ornées du Périgord sont deux exemples positifs de cette technique (hors utilisation d’huiles essentielles) initialement mise au point pour l’agro-alimentaire.

L’équipe Organisation moléculaire et macromoléculaire du CNRS de Thiais a, quant à elle, travaillé à la micro-encapsulation des huiles qui permet ainsi de les protéger de l’oxydation ; cette technique combine également l’avantage d’une libération prolongée du produit et de son emploi sous forme poudreuse. Les essais sont réalisés par coacervation complexe (voir article de Thi-Phuong Nguyen) de l’huile de citronnelle qui est vraisemblablement la plus prometteuse.

 

En perspective…

Reste maintenant à tester l’innocuité des huiles essentielles vis-à-vis des matériaux et des utilisateurs, leur comportement à long terme (dégradation, odeur…) ainsi que leur efficacité sur un large spectre de moisissures et jusqu’au cœur des livres. Il demeure toutefois à établir si l’utilisation des huiles essentielles interviendra de façon préventive ou curative.

Sur la base de ces résultats prometteurs, il reste encore du chemin à parcourir avant que les magasins ne soient inondés d’une douce odeur de citronnelle…

 

 

Guillaume Genty, Centre technique de Bussy-Saint-Georges /Laboratoire