Désacidification

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Application de la microencapsulation
pour la désacidification de masse

in Actualités de la conservation, n° 9, février-juillet 1999

Il est aujourd'hui reconnu qu'une large partie de notre patrimoine graphique est atteinte d'une maladie sournoise et inéluctable : l'acidification du papier.

Ce mal, qui touche plus de 30 % des collections mondiales, est dû essentiellement à l'utilisation au cours du XIXe siècle, de la pâte de bois et de l'encollage acide à la colophane ; la pollution atmosphérique, très intense dès la fin du XIXe siècle a également contribué à l'accentuer.

 

Devant l'ampleur et la gravité des dégâts causés par ce phénomène, divers procédés de désacidification de masse ont été mis au point à partir des années 1970. Ceux-ci consistent le plus souvent à immerger les documents à traiter dans une phase liquide (éthanol, fréon, heptane…) contenant un produit actif alcalin (éthoxyde de magnésium et de titanium, oxyde de magnésium, magnésium butyl glycolate…) dont le rôle est de neutraliser l'acidité présente dans le papier au moment du traitement et également de constituer une réserve alcaline capable d'absorber l'acidité produite ultérieurement par le papier.

 

Grâce à ces procédés, il est possible de traiter en une seule opération un très grand nombre d'ouvrages et d'éviter l'étape souvent longue et fastidieuse du déreliage. Si leur action désacidifiante est aujourd'hui incontestée, les méthodes de désacidification de masse actuellement utilisées présentent encore quelques inconvénients majeurs. En particulier, la présence d'alcools (utilisés comme solvants des agents de désacidification - procédé de Sablé - ou formés après réaction de ces agents avec l'eau - procédé Battelle-) a pour effet de solubiliser certaines colles et encres d'imprimerie ou manuscrites, provoquant une désolidarisation des corps d'ouvrage, une migration voire un transfert des encres ainsi qu'une irisation des images. Certaines couvertures plastifiées comme le Buckram s'abîment également au contact de ces produits alcoolisés.

 

Pour résoudre ces problèmes, une étude actuellement financée et supervisée par la Bibliothèque nationale de France et mise en œuvre par le laboratoire "Organisation Moléculaire et Macromoléculaire" (CNRS Thiais) tente d'appliquer à la désacidification de masse une technologie tout à fait originale : la microencapsulation, déjà très largement utilisée dans d'autres domaines industriels comme la pharmacie et la cosmétologie.

 

Le principe de ce procédé consiste à enfermer les principes actifs dans des capsules organiques de très faible taille (quelques mm de diamètre) lesquelles seraient véhiculées par le CO2 supercritique puis déposées au cœur du réseau fibreux des feuilles de papier. La libération des produits de désacidification serait effectuée in situ après éclatement contrôlé des capsules, soit par pression soit par vibration.

 

Le couplage microencapsulation /CO2 supercritique permettrait donc de minimiser l'influence néfaste de l'alcool sur les documents, le CO2 supercritique n'ayant pas d'effet solubilisant sur les encres.

 

D'autre part, comme on peut tout à fait envisager d'encapsuler également des composés de renforcement du papier (dérivés cellulosiques ou amidons modifiés) ; cette technique offrirait la possibilité d'effectuer en une seule opération, le double traitement de désacidification et de renforcement du papier, avantage que n'apporte à l'heure actuelle, aucun des procédés de désacidification de masse existants.

Fabrication des microcapsules

Il existe à l'heure actuelle mille procédés de microencapsulation différents, chacun d'entre eux dépendant de la nature du produit actif et de l'utilisation que l'on fait des capsules. Toutefois, ils sont pour la plupart, basés sur une différence de miscibilité entre deux phases. Voici, à titre d'exemples, quelques procédés de microencapsulation fréquemment rencontrés dans la littérature.

1/ La polymérisation interfaciale

Une solution aqueuse contenant le principe actif et des monomères hydrosolubles est ajoutée à un grand volume d'huile contenant des monomères liposolubles. Le mélange est fortement agité afin de produire une émulsion constituée de très fines gouttelettes d'eau dans l'huile (plus l'agitation est forte, plus les gouttelettes sont fines).

Les monomères hydrosolubles et liposolubles réagissent entre eux à l'interface eau/huile pour former un polymère qui va constituer la paroi des capsules. Celles-ci sont ensuite récupérées par filtration de la phase huile, lavées puis séchées à l'air ou par lyophilisation. Après séchage, les microcapsules se présentent sous la forme d'une poudre fine.

(figure 1)

 

2/ La méthode de solidification par fusion

Le principe actif est dissous dans une solution aqueuse contenant le polymère qui va constituer la paroi de la capsule (albumine par exemple). Ce mélange est ajouté sous forte agitation à un grand volume d'huile de façon à obtenir une émulsion de type eau dans l'huile.

L'huile est alors chauffée jusqu'à déshydratation des gouttelettes aqueuses et dénaturation du polymère qui se solidifie par fusion. Les capsules ainsi formées sont filtrées, lavées puis séchées.

(figure 2)

Ce procédé nécessite un chauffage important et ne s'applique donc pas aux principes actifs thermosensibles. On a recours dans ce cas particulier, à la réticulation chimique : un agent de réticulation (formaldéhyde ou glutaraldéhyde) en solution dans un solvant lipophile est mélangé à la phase huileuse.

Comme précédemment, on ajoute à cette phase, la solution aqueuse contenant le polymère et le principe actif sous forte agitation. Le polymère qui constitue la paroi des capsules se solidifie à l'interface eau/huile grâce à l'action réticulante du formaldéhyde ou du glutaraldéhyde.

(figure 3)

 

3/ La coacervation simple

Une solution aqueuses contenant le produit actif est ajoutée à un grand volume d'huile sous agitation afin d'obtenir une émulsion de type eau dans l'huile. Lors de l'émulsification, les gouttelettes aqueuses s'entourent d'une couronne huileuse pour former des capsules peu stables qui sont immédiatement immergées dans une solution aqueuse contenant de la gélatine.

Selon les caractéristiques de la solution (pH notamment), les deux polymères vont acquérir une charge globale opposée si bien qu'ils vont s'attirer et former à la surface des gouttelettes un complexe (coacervat) stabilisé par l'ajout d'agents de réticulation.

(figure 4)

 

4/ La coacervation complexe

La première phase de ce procédé est similaire à la précédente ; la différence réside dans la composition de la deuxième phase aqueuse qui contient deux polymères au lieu d'un (gélatine et gomme arabique par exemple).

Si l'on ajoute à cette solution un excès de non solvant de la gélatine (éthanol par exemple), celle-ci précipite (c'est la coacervation) et, attirée par la couronne huileuse des gouttelettes, elle vient s'y adsorber, et forme ainsi une paroi encore relativement fragile. Pour la consolider, on ajoute un agent de réticulation (formaldéhyde, glyoxal…) qui va former des liaisons entre les molécules de gélatine.

(figure 5)

L'étude, débutée en février 1999 n'en est à l'heure actuelle que dans sa phase préliminaire c'est-à-dire de mise au point du procédé d'encapsulation. Le choix des produits à encapsuler s'est porté sur l'oxyde de magnésium et l'oxyde de calcium pour la désacidification et sur un dérivé cellulosique ou amidonné pour le renforcement.

La nature et la taille des capsules sont également des facteurs déterminants dans le choix du procédé utilisé. En effet, destinées à être véhiculés par le CO2 supercritique, ces capsules doivent par conséquent être compatibles avec ce vecteur mais également être suffisamment

légères pour pénétrer aisément à l'intérieur du réseau fibreux des ouvrages traités.

 

 

 

Thi-PHUONG Nguyen, Centre technique de Bussy-Saint-Georges/laboratoire