La conservation des costumes de scène

in Actualités de la conservation, n° 9, février-juillet 1999

Le département des Arts du spectacle conserve dans les locaux du Centre André François-Poncet à Provins un ensemble de 4000 costumes avec leurs accessoires couvrant une période d'une centaine d'années (1890 à 1992). Leur conservation et leur mise en valeur nécessitent la mise en place de moyens spécifiques.

Les costumes de scène,
une collection aux significations multiples

Leur intérêt premier est de compléter les documents écrits et photographiques qui constituent le noyau dur des collections du département des Arts du spectacle. Par ailleurs les costumes de spectacle ont des fonctions différentes de celles du vêtement de ville. Au théâtre, au cinéma, le costume reflète le caractère des personnages historiques ou contemporains. Il s'inscrit dans un décor, une mise en scène. Son niveau de lecture éloigné ou rapproché lui donne un aspect "couture" ou au contraire ébauché, non fini. Quand le spectacle a lieu en plein air, les conditions climatiques déterminent les matériaux utilisés. Pour les jeux olympiques d'Albertville en janvier 1992, la majorité des costumes fut réalisée en laine polaire. Par ailleurs, les contraintes économiques, l'influence de la mode ont également une incidence sur la nature des matières choisies et leur décor : textiles peints, matières plastiques, métal, carton, mousse... servent à créer un objet d'illusion pour lequel les contraintes de conservation sont d'autant plus difficiles à observer. Faire durer dans le temps un costume de fantaisie, utilisé une seule fois ou au contraire sans cesse modifié, transformé, usé, mais porteur d'une image mythique, tel est le difficile enjeu de la conservation des costumes de scène.

 

La mise en réserve

Les normes qui régissent la bonne conservation des textiles tiennent compte de plusieurs facteurs : la température (autour de 18°C), l'hygrométrie (50% d’humidité relative), l'absence de lumière du jour, des espaces suffisants aménagés avec du mobilier adapté (compactus pourvus de tringles, d'étagères et de tiroirs).

Toutes ces conditions sont respectées à Provins où les costumes sont entreposés dans deux magasins de 175 m² chacun, suspendus à une hauteur modulable de 1,60m, sur des cintres arrondis entourés de papier de soie ou rangés à plat dans des boîtes qui tiennent lieu de tiroirs. Ces boîtes conçues pour recevoir un ou deux costumes sont garnies de papier de soie dont la mise en forme permet de soutenir les endroits fragiles. Un troisième magasin, destiné aux objets de scène de grandes dimensions, permet de garder les costumes en observation à l'arrivée d'un don ou d'un achat, ou au retour d'une exposition. Ces magasins situés au deuxième sous-sol sont éclairés selon les besoins ; ils sont climatisés : un hygromètre permet de surveiller l’humidité ambiante.

 

Le nettoyage

Garder un costume propre et en bonne condition fait partie de la conservation préventive. Les costumes sont régulièrement dépoussiérés par micro-aspiration, surveillés (traces de moisissures, traces anciennes de mites, saleté, fragilité). L'acquisition d'un congélateur permet de traiter sur place les éléments douteux ; en effet, le passage à une température de -40°C assure la désinsectisation et permet une diminution des micro-organismes. Les sous-vêtements en coton blanc (jupons, cols, chemises) sont lavés à la machine avec un produit doux. Chaque année une campagne de nettoyage est menée et un certain nombre de costumes confiés à une entreprise agréée par les musées du textile.

 

La restauration

C'est une démarche récente pour les costumes, qui jusqu'à une date récente n'était pas prise en considération. Néanmoins l'existence menacée de certains éléments, parmi lesquels des costumes anciens ou rares, a montré la nécessité de faire intervenir des spécialistes.

Formées à l'IFROA (Institut français de restauration des œuvres d'art) dans la discipline du costume de scène, des restauratrices ont commencé des opérations de refixage et de réintégration sur des costumes des Ballets russes, de Sarah Bernhardt et sur un manteau d'Hamlet porté par Gordon Craig, autant de pièces belles et significatives.

La section textile de l'IFROA a déjà effectué une importante restauration sur une tunique portée par Sarah Bernhardt dans la pièce Théodora (1884).

 

Le transport

Transporter des costumes dans une camionnette demande un matériel approprié : vestiaires ou portants pas trop remplis et suffisamment assujettis pour éviter aux costumes de se balancer.

Des emballages personnalisés dans des boîtes ou des cartons fabriqués par les transporteurs sont également utilisés par les musées du costume. Cela n'a pas encore été le cas pour le département des Arts du spectacle.

 

L'exposition

Exposer des costumes est à la fois le moment le plus évocateur pour le public et le plus délicat pour la conservation. En effet la possibilité de montrer de la manière la plus vraie et la plus suggestive les costumes d'un spectacle exige autant de rigueur technique que d'imagination. Ces critères n'ont pas toujours été une préoccupation, loin de là. Avant que les méfaits de la lumière n'aient été enregistrés et combattus, nombre de musées n'ont pas craint de présenter pendant plusieurs années des costumes dont la couleur et les matières sont irrémédiablement perdues. Il est recommandé aujourd’hui de ne pas dépasser une exposition de trois mois sous un éclairage artificiel contrôlé de 50 lux.

Soucieux de respecter ces règles de conservation, le département des Arts du spectacle pratique une politique d'exposition qui tient compte de la nature des lieux, de la protection, de la sécurité et de l'éclairage. Les costumes sont choisis en fonction de leur état (solidité, propreté), examinés et décrits avant le départ et au retour.

La présentation sous vitrine n'est pas exigée, compte tenu de la nature du costume de théâtre qui doit pouvoir "vivre " dans un contexte proche de la réalité du spectacle, en accord avec d'autres costumes, des éléments scéniques et dans une ambiance colorée. Les jeux de lumière, la présence de musique d'ambiance ont leur importance dans cette perspective d'une fiction recomposée.

C'est ce que nous avons tenté de faire dans l'exposition Costumes en trois actes qui s'est déroulée Galerie Colbert de juin à août 1997. Soixante costumes étaient disposés sur des podiums, répartis dans trois sections et regroupés en fonction du style et de l'harmonie chromatique de chaque costume. L'accompagnement iconographique était donné par des affiches, des photographies et des dessins, tandis qu'un enregistrement musical complétait cette mise en scène muséographique.

 

Le "mannequinage"

Par ce terme, il faut entendre la mise en forme des costumes sur mannequin. C'est la phase essentielle de l'exposition, celle qui assurera ou non son succès, celle aussi qui peut être la cause d'importants dommages. Le mannequin doit s'adapter au costume et non l'inverse. C'est un postulat qui n'est pas aisé à appliquer car il demande une réflexion, une analyse et un coût qu'on serait tenter de faire passer au second plan. Pourtant, la connaissance de plus en plus fine de la nature du matériau, textile en particulier et les observations faites à partir de mauvaises présentations, conduisent toutes les restauratrices à envisager des supports adaptés à chaque costume, à chaque vêtement. Buste moulé aux proportions du corsage, support de corset invisible, rembourrage des hanches ou des épaules, tout semble aujourd'hui possible pour rendre à la silhouette son aspect d'origine grâce à l'emploi de matériaux neutres et malléables qui respectent la forme du vêtement en évitant les tensions du textile.

A la suite de l'exposition de la réouverture du Musée de la Mode et du textile en 1997, qui nécessita une longue période de mannequinage et des innovations techniques, une équipe travailla au montage de l'exposition Costumes en trois actes, dans les mêmes conditions de respect de l'objet et d'invention, fait nouveau pour les costumes de spectacle traités sur le même pied d'égalité que les collections textiles.

Le travail de mise en forme a essentiellement été de façonner les mannequins aux proportions des costumes et à la morphologie des corps. Les principaux matériaux utilisés furent le jersey noir destiné à recouvrir les mannequins et à recomposer des coiffures, des chaussures ou des éléments, de la mousse de polyester coupée, cousue pour créer des bras, des hanches, des ventres, ainsi que du crin et du tulle pour donner l'ampleur et la raideur.

Pour l'exposition Renaud-Barrault qui eut lieu du 23 mars au 20 juin 1999 sur le site François-Mitterrand, les dix costumes choisis pour illustrer les moments forts de la compagnie, étaient supportés par des formes adaptées qui permettent une muséographie aérienne sans conséquence néfaste pour les costumes.

Cette évolution vers une meilleure compréhension des besoins et les moyens mis en œuvre montrent un souci affirmé pour la conservation d’un type de collection souvent moins fragile qu'il n'y paraît et qui illustre de manière sensible et visuelle la richesse des documents conservés au département des Arts du spectacle.

 

 

Claudette Joannis, conservateur en chef du patrimoine,
attaché à la BnF, département des Arts du spectacle

 

Quelques publications sur ce thème :

- " Les costumes au musée ", La Revue de l’Association générale des conservateurs, 1997, n° 215.
- " New forms of presentation in museums ", in Costume collections. Publication of the textile Committee, 1991.
- " Dossier : La conservation des textiles d’usage ", Coré, 1997, n° 2, pp. 29-60.