Etude confiée au CNEP pour un test
de vieillissement accéléré par oxydation

CNEP = Centre national d'évaluation de photoprotection

in Actualités de la conservation , n° 8, octobre 1998-janvier 1999

Dans le passé les mécanismes de vieillissement des papiers n'ont pu être bien étudiés par manque de méthodes suffisamment sensibles.

 

Par ailleurs, dans la littérature, il est abondamment fait mention de phénomènes de pure hydrolyse, c'est-à-dire de réaction directe de l'eau, favorisée en milieu très acide ou très basique.

La présente étude s'inscrit dans le cadre du programme de recherche et de développement sur la désacidification et le renforcement de masse des papiers acides et fragilisés.

 

Elle a pour objectif d'étudier "in situ", essentiellement par des méthodes spectrophotométriques, l'évolution chimique des papiers lors d'un vieillissement accéléré par photo- et thermooxydation en milieu hydraté ou en milieu anhydre.

 

En effet, au cours du programme de recherche, il est apparu comme nécessaire d'approfondir les connaissances sur les produits et les mécanismes de dégradation des papiers, afin de déterminer avec plus de précision si c'est l'oxydation ou l'hydrolyse qui est prépondérante dans la dégradation des papiers. La réponse à cette question conditionne en partie les stratégies de traitement.

 

Il a été décidé de confier cette étude au Centre national d'évaluation de photoprotection (CNEP) à Clermont-Ferrand, centre de transfert du laboratoire de photochimie ayant acquis une grande expertise dans ce domaine, notamment pour ce qui concerne les polymères de synthèse. En 1978, ce laboratoire a également mis au point une enceinte pour l'étude du photovieillissement artificiel accéléré des matériaux (SEPAP 12.24) actuellement utilisée à environ 250 exemplaires et base de normalisation au niveau français et européen.

 

Métodes de vieillissement proposées

Pour étudier l'évolution chimique des papiers lors du vieillissement et en connaître l'impact, trois méthodes de vieillissement artificiel accéléré ont été utilisées :

le vieillissement artificiel accéléré par photooxydation à différentes longueurs d'ondes,

le vieillissement artificiel accéléré par photooxydation en milieu hydraté,

le vieillissement artificiel accéléré par thermooxydation à 100°C en milieu anhydre.

Méthodes d'investigations proposées

Trois méthodes d'investigations ont été utilisées lors de cette étude :

  • la spectrophotométrie infrarouge à transformée de Fourier (IRTF) équipée d'une cellule de détection photoacoustique (PAS) pour l'étude des produits d'oxydation,
  • la spectrophotométrie électronique d'absorption UV-visible pour l'étude des produits de jaunissement,
  • les mesures des propriétés mécaniques des papiers (résistance à la traction) pour étudier la corrélation entre la concentration des produits d'oxydation ou de jaunissement et la résistance mécanique des papiers.

Les analyses spectrométriques et les mesures des propriétés mécaniques ont été réalisées sur le même échantillon de papier.

Matériaux utilisés

L'étude a été conduite à partir de 4 types de papiers de fabrication "à l'ancienne" et de 20 échantillons de papiers prélevés sur des livres du pilon datant de 1880 à 1969.

Les papiers ont été étudiés après différentes durées de vieillissement, avant et après traitement par le procédé SEPAREX (extraction, désacidification, renforcement).

Résultats expérimentaux

Il ressort de cette étude que la dégradation des papiers est essentiellement due aux composés exogènes à la cellulose et notamment à la lignine. On peut alors distinguer deux évolutions chimiques de nature différente : le jaunissement oxydant et l'oxydation induite.

  • le jaunissement oxydant
    Le jaunissement oxydant se traduit par la formation de groupements chimiques insaturés et conjugués, capables d'absorber la lumière à des longueurs d'ondes supérieures à 400 nm (domaine de la lumière visible). Ces produits présentant généralement de très forts coefficients d'extinction moléculaire sont facilement observables en spectrophotométrie électronique. Ces produits s'accumulent dans les papiers en très faible quantité et il n'y a pas de corrélation entre leurs concentrations et les variations des propriétés mécaniques des papiers.
    Ces composés sont très insaturés, très oxydables et se transforment généralement selon une réaction secondaire de décoloration.
  • l'oxydation induite
    L'oxydation induite se traduit par la formation de groupements oxydés sur les chaînes macromoléculaires, observables en spectrophotométrie vibrationnelle (IR ou Raman). Les composés carbonylés qui résultent de l'oxydation radicalaire de la cellulose provoquent la rupture des chaînes macromoléculaires. En revanche, les groupements oxydés finaux sont généralement inertes et s'accumulent dans la matrice oxydée en quantité relativement élevée. Il y a corrélation entre leurs concentrations et les variations des propriétés mécaniques des papiers.
    Les produits d'oxydation observables en IR et les produits jaunissants observables en spectrophotométrie UV se développent parallèlement.
  • l'influence de l'eau
    La présence de l'eau favorise l'hydrolyse des produits d'oxydation. L'eau ne fait que masquer le dégât oxydatif. Les produits d'oxydation hydrolysés ne participent pas à la dégradation du papier.
  • l'influence d'une extraction par fluides supercritiques
    Il a été montré que l'extraction des papiers par le CO² supercritique seul ou en mélange avec l'éthanol ne modifie pas beaucoup la coloration des papiers vieillis et ne change pas leur composition chimique de façon notable. Par ailleurs, le traitement au CO² supercritique ne modifie pas la photooxydabilité des papiers vieillis. Tous les papiers présentent encore une forte potentialité de vieillissement oxydant.
  • l'influence de la désacidification et du renforcement
    Il a été montré que l'introduction de l'agent désacidifiant semble promouvoir indirectement la photooxydation des résidus ligneux. En revanche, l'introduction d'agents consolidants présentant une bonne photostabilité, comme des éthers de cellulose, ne modifie pas la photooxydabilité. Par ailleurs, l'introduction simultanée d'agent consolidant et d'agent désacidifiant fait disparaître les conséquences de l'agent de désacidification.

Conclusion

L'hydrolyse ne semble pas être le phénomène prépondérant dans la dégradation du papier. En revanche, l'oxydation présente un impact considérable. Si la désacidification ne semble pas nuire aux papiers, elle n'empêche pas l'oxydation de se poursuivre.

L'extraction aux fluides supercritiques ne permet pas de "remettre l'horloge à zéro". Les produits exogènes à la cellulose restant dans le papier gardent leur potentiel d'oxydabilité.

La recherche devrait être davantage orientée sur les produits pouvant bloquer les mécanismes d'oxydation.

La présence de lignine dans un papier n'est pas un facteur de durabilité.

 

 

Astrid Brandt