Le papier au Moyen-âge - histoire et techniques

C.N.R.S., Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, 23-25 avril 1997

in Actualités de la conservation , n° 7, avril-septembre 1998

Le colloque international organisé par l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes (I.R.H.T.) s'inscrit dans la continuité du projet "recherche sur les papiers anciens " mis en place ces dernières années entre l'I.R.H.T. et la Bibliothèque nationale de France (BnF). Son objectif est de faire le point sur les recherches actuellement menées dans le domaine du papier ancien, de favoriser les échanges entre différentes équipes de recherche et de susciter des projets de collaboration internationale.

Le colloque était présenté par Jacques DALARUN, directeur de l'I.R.H.T. , et s'est déroulé en deux parties distinctes : les papiers filigranés et les papiers non filigranés.

Dans sa conférence inaugurale, Peter F. TSCHUDIN, président de l'Institute of Paper History, a passé en revue la fabrication, l'évolution technologique et la diffusion du papier depuis son invention en Chine, jusqu'à son introduction en Europe, en passant par le Monde arabe.

Les communications orales ont porté sur des thèmes très variés : études historiques et codicologiques, description des papiers filigranés et non filigranés, essais de méthodologie, mises au point de typologie, enquêtes sur des corpus particuliers, banques de données.

Elles se sont limitées aux manuscrits et documents d'archives en provenance du Moyen-Orient et d'Europe jusqu'à 1600.

Des points importants pour la compréhension de l'évolution de la fabrication du papier ont été abordés comme le passage en Europe des papiers non filigranés aux premiers papiers filigranés apparus en Italie. Les seuls éléments d'observation sont les papiers eux-mêmes puisque aucune forme à papier médiévale n'est parvenue jusqu'à nous. Plusieurs communications ont soulevé des interrogations et ont fait l'objet de discussions entre participants et intervenants.

Première partie : les papiers non filigranés

Yves PORTER (Faculté des lettres, Aix-en-Provence). - Mise en place de caractéristiques et de données particulières aux papiers du monde iranien du 8ème au 13ème siècle à partir des recettes recueillies dans les textes médiévaux

Francis RICHARD (BnF, Paris). - Tous les papiers provenant de 200 manuscrits en persan du 15ème siècle conservés à la BnF présentent des fragments de tissus, de paille et de poils de pinceau. Ils ont également subi un lissage caractéristique et reçu un apprêt d'amidon. Les critères de classement (observation des vergeures et des fils de chaînettes ainsi que la couleur du papier) permettent de dire que plusieurs types de papier étaient en concurrence dans une même ville.

Malachi BEIT-ARIE (Université de Jérusalem). - Une typologie des manuscrits orientaux non filigranés est mise en place à partir d'une très grande quantité de papiers de manuscrits hébreux et arabes.

Paul CANART (Bibliothèque vaticane). - La communication présente deux études : la première évoque le cas curieux d'une construction d'un manuscrit arabe oriental, le Palatinus graecus 199, constitué de papiers de deux formats avec une alternance régulière (un bifeuillet à vergeures verticales, le suivant à vergeures horizontales) ; la seconde établit une statistique préliminaire des manuscrits de papier non filigrané de la Bibliothèque vaticane.

Geneviève HUMBERT (I.R.H.T., Paris). - A partir de l'étude d'un corpus de 510 papiers non filigranés présents dans un choix de manuscrits de la BnF, il a été possible d'isoler un type de papier fabriqué en Egypte du 13ème au 15ème siècle. Il s'agit d'un papier arabe "oriental " dont les fils de chaînettes sont groupés par deux.

Anne BOUD'HORS (I.R.H.T., Paris). - Les observations (du format de la page et de la feuille, l'aspect des vergeures et des fils de chaînettes) faites sur des papiers de manuscrits coptes du 11ème au 15ème siècle, conservés à la BnF, ont permis de déceler des différences selon les régions d'Egypte : manuscrits provenant d'Esna (982-1005), du Monastère blanc (11ème-13ème siècle) et de manuscrits bohaïriques.

Nicolas OIKONOMIDÈS (Université d'Athènes). - La recherche sur le papier dans les chrysobulles byzantins du 11ème siècle est centrée sur les documents des archives de Patmos, complétée par des manuscrits d'Athènes et du Mont Athos et de manuscrits grecs et arabes. Les manuscrits sont soumis à l'examen en microscopie optique voire électronique afin d'évaluer l'état de surface, la densité de la matière, la morphologie des fils, les vergeures et pontuseaux et de repérer d'éventuels restes de tissus. Le traitement informatique des données permet de distinguer quatre groupes principaux de papiers non filigranés.

Monique ZERDOUN (I.R.H.T., Paris). - Les observations sur les papiers d'un corpus de 110 manuscrits hébreux (jusqu'à 1300), conduisent aux points de réflexion suivants : la discordance entre des vergeures d'une très grande finesse et l'aspect grossier du papier, les causes de l'apparition d'écailles sur des papiers très brillants et celles du dédoublement de certains papiers, le phénomène de résonance entre certaines substances contenues dans le papier et les longueurs d'onde du rayonnement émis par l'éclairage électrique. Plusieurs hypothèses sont émises pour expliquer ces observations.

Carme SISTACH-ANGUERA (Arxiu de la Coroña de Arago, Barcelone). - Les papiers utilisés par la Couronne d'Aragon depuis 1238 sont fabriqués à Xativa. Mais à partir de 1350, du papier est importé du nord de l'Italie et la tradition de produire du papier selon le modèle arabe prend fin. Des observations sur la structure physique (épaisseur, vergeures, aspect de surface) sont faites sur des papiers arabes espagnols non filigranés du 12ème au 14ème siècle. Des marques au peigne (zigzags) ont été observées dans plusieurs folios. L'analyse micrographique indique une composition fibreuse de lin-chanvre provenant de chiffons. La microscopie électronique à balayage munie d'une microsonde révèle l'identité des pigments ayant servi à colorer le papier. Les papiers sont collés à l'amidon (caractéristique du papier arabe).

Marie-Thérèse BAVAVEAS (I.R.H.T., Paris) : La signification des tracés en zigzags présents dans des papiers non filigranés, fabriqués en Espagne de l'Est et au Maghreb entre le 12ème et 14ème siècle, n'est pas totalement élucidée. Ces zigzags de forme variée (en V, en peigne, en griffes, etc.) sont tracés sur une face de la feuille ou sur les deux faces et apparaissent par transparence. S'agit-il d'un signe distinctif apposé par le fabricant de papier ou d'un moyen pour compter les feuilles ? D'autre part, un manuscrit arabe (conservé à la BnF), copié sur du papier filigrané de fabrication italienne et datant de 1356, porte également ces marques. Faut-il en déduire que certains papiers considérés comme espagnols ou maghrébins en raison de la présence de zigzags sont en réalité des papiers italiens ?

 

Deuxième partie : les papiers filigranés.
(le premier filigrane attesté est daté de 1282)

Jean IRIGOIN (Membre de l'Institut). - L'étude d'une série de filigranes portant les noms de papetiers de Fabriano au début du 14ème siècle permet de définir une vaste zone d'emploi de ces papiers. Leur durée est en revanche courte, une dizaine d'années au plus. Un certain degré de précision est atteint dans la datation des livres et documents faits d'un papier porteur de ce type de filigrane.

Robert HILLS (Université de Manchester). - La communication montre l'importance des mesures effectuées sur les vergeures et les lignes de chaînettes pour identifier la forme sur laquelle a été fabriqué un papier. Ainsi, l'examen de papiers produits par John Tate, le premier fabricant de papier en Grande-Bretagne (1494-1507), permet d'affirmer que 4 ou 5 formes sont utilisées pour la fabrication de chaque taille de papier.

Denis O. TSYPKIN (Bibliothèque nationale de Russie, St Pétersbourg). - Le Département des Manuscrits de la BnR développe des méthodes optico-électroniques modernes pour l'analyse codicologique de papier médiéval suivant 2 axes majeurs : la reproduction et l'analyse comparative des filigranes et l'utilisation d'autres caractéristiques (vergeures, fils de chaînettes, etc.).

Robert W. ALLISON & John HART (Bates College, Lewiston, USA). - Démonstration d'un prototype de système intégré de base de données pour le papier et les filigranes, installé sur le Web et présentation du forum de discussion Watermarks et du site Internet Watermark Initiative.

Ezio ORNATO (C.N.R.S., Paris), Paola BUSONERO (Archives historiques du Ministère des Affaires Etrangères, Rome) Paola MUNAFO (Istituto Centrale per la Patologia del Libro, Rome), Speranza STORACE. (2 communications) - La première communication porte sur une enquête menée sur des livres du 15ème siècle du nord-est de l'Italie afin d'établir une typologie des papiers et de reconstituer l'histoire de leur fabrication (formaires, battoirs, etc.), la seconde présente les caractéristiques qualitatives du papier italien du 15ème siècle.

Albert J. ELLEN.- L'analyse des matériaux et l'étude codicologique sont mises à contribution dans un but de reconstituer des recueils de dessins d'artistes italiens des 15ème et 16ème siècles à partir d'éléments parfois séparés. Certaines informations obtenues viennent à l'encontre d'idées généralement admises.

Maria del Carmen HIDALGO BRINQUIS (Instituto del Patrimonio Historico Español, Madrid).- Les filigranes des papiers d'Espagne des 14ème et 15ème siècles sont encore mal connus. A cette époque les grands centres de fabrication du papier se sont déplacés de Xativa vers l'Italie et la France. Les papiers utilisés alors en Espagne étaient donc importés de ces pays ou bien fabriqués sur place dans les quelques moulins encore en fonctionnement. Le problème est donc de repérer les filigranes d'origine locale.

Jos DE GELAS (Association belge des historiens du papier, Bruxelles). - Les sources d'information concernant les filigranes dans les papiers du 15ème siècle fabriqués sur le territoire actuel de la Belgique sont en nombre très réduit. L'analyse des archives de la production de papier des moulins installés à Linkebeek (1439) et à Braine-L'Alleud (1474) a conclu que leurs activités étaient incertaines.

Annie BERTHIER (BnF, Paris). Les documents d'archives sont souvent négligés dans l'étude des papiers anciens. Ils présentent pourtant l'intérêt d'être datés et localisés. De plus, ces papiers conservent très souvent des dimensions proches de la feuille d'origine, donc de la forme qui a servi à les fabriquer. Un exemple est donné au travers de l'étude de la correspondance diplomatique ottomane présente dans le fonds des manuscrits turcs de la BnF.

Jacques BREJOUX (Maître papetier, Moulin du Verger, Puymoyen La Couronne). - Le 15ème siècle marque une étape décisive dans la fabrication du papier : le passage d'une production artisanale à une production à plus grande échelle. Ce bouleversement dans les habitudes de travail va modifier la qualité du papier produit.

Les actes du colloque devraient paraître courant 1999.
Pour tout renseignement s'adresser à Monique ZERDOUN,
I.R.H.T., 40, avenue d'Iéna 75016 Paris, téléphone 01 44 43 91 21,
fax 01 47 23 89 39.

 

 

Léon-Bavi Vilmont, DSC, Centre technique de Bussy-Saint-Georges