Matériaux de conservation

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Les films polyesters transparents :
nature, sélection et usages en conservation

in Actualités de la conservation , n° 7, avril-septembre 1998

A la recherche d'un mode de protection solide et pratique permettant l'exposition, la manipulation et la consultation en toute sécurité des documents en feuilles, sans les sortir de leurs contenants protecteurs, les conservateurs et restaurateurs se sont depuis plusieurs dizaines d'années tournés vers des matières transparentes, et en particulier celles issues du développement de l'industrie des plastiques. Les pochettes confectionnées dans de tels matériaux offrent aux documents (cartes, estampes, feuillets manuscrits ou imprimés, affichettes, photos, documents sous forme de fragments…) une présentation et une protection contre les dommages physiques (déchirures, salissures…) pouvant survenir durant l'exposition, l'étude ou la mise en réserve. Ils permettent en même temps au lecteur une manipulation facile et un accès aux deux faces de la pièce.

 

Après l'emploi du verre, dont certaines caractéristiques (épaisseur, poids et risques d'endommager l'œuvre en se brisant) ne font pas un mode de conditionnement idéal, nombre de matières plastiques en feuilles ou plaques transparentes furent utilisées dans cette optique par le passé. Elles ont montré des avantages et des inconvénients, voire présenté des dangers pour les documents enclos. Citons en particulier les acétates de cellulose (dont le Rhodoïd est l'un des noms commerciaux) 1 et les PVC qui, instables sur le long terme, libèrent des produits éminemment néfastes pour la préservation du papier (acide acétique et plastifiants pour les uns, acide chlorhydrique pour les autres).

 

Au début des années 70 s'amorce l'emploi, à la Bibliothèque du Congrès à Washington, puis rapidement dans d'autres établissements américains, de films transparents synthétiques en polyester. Ils furent utilisés tout d'abord pour encapsuler les documents, c'est-à-dire pour conserver ceux-ci dans des pochettes soudées sur quatre côtés, comme une alternative à la lamination entre feuilles d'acétate de cellulose, procédé difficilement réversible 2 . Certains types de films polyester ont à présent une qualité de "matériaux de conservation " très largement reconnue, appuyée sur bientôt une trentaine d'années de recul et des tests de vieillissement accéléré 3, et sont utilisés dans de grandes institutions du monde entier (bibliothèques et archives en particulier, où l'accès du chercheur aux documents est l'une des priorités ; mais des musées en font aussi l'usage, par exemple pour conserver des fragments de textiles) 4. Leur usage est recommandé dans de multiples publications, notamment dans tous les vade-mecum et récents manuels de synthèse portant sur la conservation-restauration des documents d'archives et de bibliothèques 5.

Quels sont ces matériaux, en quoi remplissent-ils les critères
de sélection en matière de conservation ?

Plusieurs points doivent être abordés :

 

Nature : le nom chimique de ce type de produits est le polytéréphtalate d'éthylène ou PET(polyethylene terephtalate). C'est un polymère d'éthylène glycol et d'acide téréphtalique, deux dérivés du pétrole. Le résultat est un matériau inerte chimiquement, se présentant en fibres non tissées ou en films (pellicule bi-orientée, transparente).

 

Bref historique : découvert au début des années quarante, le PET 6 fut développé et fabriqué à partir des années 50 (Du Pont de Nemours et ICI). Avec l'accroissement du marché des PET et la multiplication des fabricants (aux Etats-Unis : Du Pont, ICI Americas, American Hoechst, 3M ; ICI ltd en Angleterre ; en France, Rhône Poulenc…), la gamme des produits est devenue très vaste. Sous le seul nom de Mylar (marque déposée Du Pont) existe une centaine de variétés pour des applications industrielles très spécialisées, allant de l'industrie graphique à l'emballage en agro-alimentaire : films transparents ou non, films aux comportements particuliers selon les conditions physiques, films préparés avec de nombreux revêtements de surface spéciaux (en PVDC, cire, métal, etc.). Bien entendu, tous n'ont pas une qualité "archive". Les pelliculages au PVDC peuvent se dégrader et exsuder un produit proche de l'acide chlorhydrique. D'autres, bien que non revêtus, ne sont pas adéquats, car ils contiennent des additifs leur conférant des comportements spécifiques (par exemple, le Mylar HS ou "heat shrinkable", qui se rétracte sous l'effet de la chaleur).

 

Sélection 7 : Lesquels de ces films choisir ? Il est impératif qu'ils soient le plus inertes possible donc qu'ils ne contiennent, ajouté à la feuille de matière première, aucun additif, produit chimique ou particules (donc pas de plastifiants ni de colorants susceptibles de se dégrader) et qu'ils n'aient subi aucune enduction de surface (et, notamment, pas d'absorbants d'ultraviolets). Une surface lisse, non abrasive, est également requise, ainsi que la transparence et la stabilité dimensionnelle.

Parmi les références commerciales disponibles, les utilisateurs expérimentés et les firmes sollicitées recommandent les produits suivants :

  • Mylar de type D, commercialisé par Du Pont de Nemours,
  • Melinex 516 (ou encore la qualité 0 ou 400, mais qui est plus électrostatique, moins glissant), de la firme ICI.

A côté de ces noms connus, citons encore le Terphane 40-01 manufacturé par Rhône-Poulenc (réputé plus cassant que les références ci-dessus), bien que son nom n'apparaisse pas dans les publications consultées (il est vrai essentiellement américaines).

Le film est disponible dans différentes épaisseurs. Les plus utilisées pour la confection de pochettes de conservation sont 75µm, 100µm pour de grands formats et, dans une moindre mesure, 50µm.

On peut se procurer ces films, conditionnés sous forme de rouleaux ou de feuilles découpées aux formats souhaités (un papier fin est systématiquement intercalé pour éviter tout risque d'adhérence), ainsi que les fiches techniques auprès des revendeurs en France (HIFI pour le Melinex, MICEL pour le Mylar 8. Des pochettes de formes variées déjà confectionnées, comme par exemple celles destinées à des collections de cartes à jouer, sont vendues chez les fournisseurs habituels de matériaux de conservation (bien vérifier auprès du commerçant la nature du matériau employé).

 

Les avantages de ces films pour une application en conservation :

Les polyesters sélectionnés possèdent d'intéressantes propriétés physico-chimiques. D'une remarquable résistance aux contraintes mécanique, chimique et thermique, ils présentent en effet une grande solidité mécanique, même dans de faibles épaisseurs, et une totale stabilité dimensionnelle (grâce à leur mode de fabrication, donnant des films bi-orientés, et à leur non-réactivité aux changements de température). Stables et durables, ils résistent aux attaques biologiques (ils sont non biodégradables) et à de nombreux solvants et acides. Ajoutons les qualités optiques (transparence), le caractère lisse de la surface, non abrasive, et l'inertie chimique (retenir en particulier l'absence d'additifs qui auraient pu être en contact avec le document par migration à la surface du film). Enfin, leur faible épaisseur (point intéressant lorsque l'espace est mesuré dans les boîtes de conservation et sur les rayonnages) donne une certaine souplesse à ce type de film qui par ailleurs est assez rigide pour rester bien à plat et ne pas risquer de se plier et par là même de marquer le document contenu.

 

Leurs limites :

Plusieurs remarques doivent être formulées. Certains inconvénients de ces matériaux portent peu à conséquence : manipulés, ils gardent la moindre trace de doigt. Cependant un coup de chiffon non abrasif y remédie et le port de gants de coton prévient le phénomène ;

  • ils se rayent assez facilement ;
  • ils ajoutent à chaque document un poids (plus important qu'une pochette en papier barrière) et une épaisseur (bien que très faible), ce qui, multiplié par le nombre, doit être pris en compte.

D'autres problèmes amènent dans certains cas à bien peser le choix de ce type de contenant :

On peut craindre que les films ne coupent les feuillets lorsqu'on les extirpe et les replace dans la pochette. Le film polyester devient effectivement coupant mais pour des épaisseurs plus importantes que celles utilisées en conservation (on fera attention à partir de 125µm). En cas de papier fragile, pour chasser toute crainte, on peut choisir une encapsulation, qui élimine toute possibilité de contact avec le document ou bien une pochette très ouverte (soudure sur un ou deux côtés), évitant d'avoir à glisser la pièce et permettant au contraire d'ouvrir totalement le contenant autour du document Le choix d'une chemise en papier est encore une alternative judicieuse.

 

Par ailleurs, selon les indications du fabricant, ce matériau est relativement photosensible, comme toute matière plastique. Il peut jaunir et se fragiliser sous l'effet d'une exposition prolongée à la lumière. Il suffit dans ce cas de se débarrasser du contenant après le temps d'exposition et de l'inclure éventuellement dans un circuit de recyclage. Cependant, dans des conditions de stockage habituelles, les pochettes ou capsules sont elles-mêmes contenues dans des boîtes ou des meubles à plans et maintenues dans l'obscurité, sauf consultation éventuelle, évitant ainsi le facteur essentiel de vieillissement de ce film.

 

Enfin, attirons l'attention sur les propriétés électrostatiques des films PET. La pellicule de polyester crée par frottement une charge électrostatique, ce qui rend ce mode de conditionnement non souhaitable pour des documents dont le media est friable et pourrait être attiré à la surface du film (encre pulvérulente, pastel, gouache s'écaillant) ou dont le papier "perd ses fibres " (documents très usés, fragments "effilochés "). En outre, ces films peuvent attirer un peu la poussière mais ce problème est limité par leur insertion dans une boîte de protection.

 

Pour comparer les mérites d'une pochette en film polyester par rapport à ceux d'une chemise en papier permanent, il est important de comprendre que la première offre la possibilité d'un examen et d'une manipulation sans contact direct avec le document (point crucial pour des pièces très consultées). Mais leur rôle s'arrête à celui de protection physique, sans action chimique. Un papier à réserve alcaline, lui, joue le rôle d'un matériau tampon (dans la limite de sa propre "durée de vie "), par rapport au caractère acide du papier d'un document. Remarquons toutefois qu'il est tout à fait possible, lorsque le verso de l'objet ne présente aucune information, d'ajouter contre celui-ci une feuille de papier permanent à l'intérieur d'une pochette transparente.

 

Mise en œuvre et usage

Les différentes qualités énoncées donnent aux films polyester le statut de "matériau de conservation ", ce qui fournit une alternative intéressante à côté d'autres modes de conditionnement (pochettes en papier, montages sur onglet et reliure, etc.). On ne les choisira cependant pas aveuglément ni au coup par coup mais plutôt dans le cadre d'une programmation. Leur sélection viendra après observation des documents (nature et état de conservation) en les replaçant au sein de la série ou de la collection à laquelle ils appartiennent et après examen de plusieurs paramètres tels que la fréquence de consultation, l'existence d'une reproduction, une désacidification déjà réalisée, etc.

 

Ces films peuvent donc être employés aussi bien pour un conditionnement temporaire que pour une mise en réserve sur le long terme. La protection temporaire intervient lors d'une exposition ou pour la communication, le document rejoignant après coup son mode habituel de conditionnement (chemise en papier permanent par exemple). L'utilisation sur le long terme permet d'allier stockage durable et protection lors des consultations, les films polyester pouvant être particulièrement adaptés à des documents fragiles mais que l'on souhaite tout de même communiquer ou à des pièces très consultées, souvent manipulées et donc particulièrement exposées aux dommages physiques.

 

Les feuilles de polyesters peuvent être assemblées entre elles de diverses façons, en adaptant leurs dimensions et la forme du contenant au document. Les procédés employés pour l'assemblage consistent en soudures thermiques 9 ou par ultrasons (les impulsions électriques agitent la matière qui s'échauffe et fusionne), opérées sur les bords des feuilles ou en leur centre (des points, des lignes formant des cases pour des fragments…). A défaut de disposer d'une machine à sceller, il est possible d'utiliser un ruban adhésif double face, en prenant garde toutefois, lors de la réalisation, que le document ne glisse et vienne toucher l'adhésif 10. Les contenants ainsi confectionnés sont des pochettes, soudées sur un, deux ou trois côtés, avec ou sans rabat, éventuellement jointes pour former un portfolio de plusieurs documents d'une même série ou perforées pour s'insérer dans un classeur ou une reliure. L'encapsulation, qui consiste à sceller la pochette sur quatre côtés, autour du document, représente quant à elle un usage bien connu des films PET. Son emploi systématique ne saurait être cependant recommandé et ce sujet méritera une recherche et un développement lors d'un prochain numéro d'Actualités de la Conservation. Dans le cas de fragments de documents, il est possible de jouer avec des points cernant le fragment au centre d'une pochette scellée ou de former des cases, fermées ou ouvertes… Une autre possibilité consiste à adjoindre au film un autre type de matériau, à condition bien sûr qu'il soit de conservation : une feuille de Hollytex ou de Bondina 11 qui, placée sur le verso, favorise davantage les échanges gazeux avec l'environnement ; ou encore un carton de conservation rigide sur lequel est fixée, sur un côté, une feuille de film polyester, afin de soutenir, transporter et protéger un document (en particulier une pièce de grandes dimensions) le temps d'une communication… Les films polyesters ouvrent donc de nombreuses possibilités d'adaptation aux problèmes particuliers posés par un document précis.

 

A côté des contenants protecteurs, ces films font l'objet d'utilisations annexes, notamment lors des expositions : des "clips " arrondis, posés avec un double face sur le pourtour d'un carton de conservation, permettent de plaquer discrètement un feuillet sur son support ; ou encore, des bandes transparentes maintiennent les feuilles d'un ouvrage ouvert sans gêner la lecture.

 

Ainsi, les films polyesters sélectionnés correspondent aux matériaux fins et transparents les plus solides et les plus inertes disponibles actuellement pour la préservation des documents sur papier. Ils peuvent être utilisés de multiples façons ; il est toutefois nécessaire de les mettre en œuvre avec clairvoyance et non de façon systématique, en s'adaptant aux cas et en puisant parmi tout l'éventail de matériaux et modes de conditionnement dont on dispose aujourd'hui.

 

 

Anne Marteyn, DSC Service Préservation

 

1 Voir l'exemple des anciens conditionnements du fonds Pelliot pour la BnF et les travaux sur le
sujet. retour au texte

2 Norwell, Jones M. M., " Lamination and Encapsulation for Paper Strengthening ", in : Paper Preservation Symposium, Washington, D. C., October 19-21,1988. retour au texte

3 Waters, Peter, " An Assessment of Lamination and Encapsulation ", in : The Conservation of Library and the Graphic Art, Cambridge, 1980, p. 74. Recherches menées par the Library of Congress Preservation and Testing Office. Ces matériaux ont par ailleurs subi d'autres tests, tel celui du ternissement à l'argent (mis au point pour déterminer l'adaptation d'un matériau à la mise en réserve de documents photographiques) ; ou encore, divers tests normalisés de comportement aux contraintes physico-chimiques, dont les résultats sont fournis par les fabricants. retour au texte

4 En particulier sur tout le continent nord-américain et en Grande-Bretagne. retour au texte

5 Quelques exemples :
- DePew, John N., A Library media and Archival Preservation Handbook, ABC-CLIO Inc., Californie, 1984, p. 153-154 et 197-200.
- Preservation of Library and Archival Materials : a Manual / ed. by Sherelyn Ogden, Washington D.C. : Northern Document Conservation Center, 1994, p. 135-136. retour au texte

6 Le PET est le film plastique le plus utilisé en volume dans le monde de l'industrie. Pour la recherche de précisions techniques et chimiques, des références sont disponibles sur Internet, dans la base de données " polymer online " que l'on peut consulter au centre de documentation de Marne-la-Vallée. retour au texte

7 Se reporter à l'article de Thomas O. Taylor, " Not all Mylar is archival ", The Abbey Newsletter, vol. 13, n°5, sept. 1989, p. 81. retour au texte

8 Coordonnées des sociétés :
- HIFI Films Industriels, 27, rue de la Villette, 69003 Lyon ; tél. 04 72 13 53 36, fax 04 72 13 53 46
- MICEL SA - BP 136 - 94234 Cachan cedex ; tél. 01.46.65.63.63, fax 01 45 46 48 48 retour au texte

9 Point de fusion : environ 250°C. retour au texte

10 Consulter à ce propos la description, accompagnée de schémas, de la " fabrication d'une enveloppe en polyester à l'aide de ruban adhésif double face ", dans : " Encapsulation ", Notes de l'ICC, 11/10, p. 2-3, Canada, 1995. retour au texte

11 Noms déposés de polyesters non tissés, translucides ou opaques selon l'épaisseur, et dont la surface est lisse, non abrasive. retour au texte